Elle fut considérable, la foule silencieuse et recueillie qui se pressa sur le passage du cortège menant Sibyl Sanderson à sa suprême demeure ! Un voile immense de tristesse semblait la recouvrir.
Albert Carré et moi, nous suivions le cercueil, nous marchions les premiers derrière ce qui restait, pauvre chère dépouille, de ce qui avait été la beauté, la grâce, la bonté, le talent avec toutes ses séductions ; et, comme nous constations cet attendrissement unanime, Albert Carré, interprétant l’état d’àme de la foule à l’égard de la belle disparue, dit ces mots, d’une éloquente concision, et qui resteront :
— Elle était aimée !
Quel plus simple, plus touchant et plus juste hommage rendu à la mémoire de celle qui n’est plus ?…
Il me plairait, mes chers enfants, de remémorer en quelques traits rapides le temps d’agréable souvenir que je passai à écrire Esclarmonde.
Pendant les étés de 1887 et 1888, j’avais pris le chemin de la Suisse et j’étais allé m’installer à Vevey, au Grand-Hôtel. J’étais curieux d’aller voir cette jolie ville, au pied du Jorat, sur les bords du lac de Genève, et que sa Fête des vignerons a rendue célèbre. Je l’avais entendu vanter pour les multiples et charmantes promenades de ses environs, la beauté et la douceur de son climat. Je me souvenais surtout de ce que j’en avais lu dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, qui avait, d’ailleurs, toutes les raisons d’aimer cette ville. Mme de Warens y était née. L’amour qu’il avait pris pour cette délicieuse petite cité l’a suivi dans tous ses voyages.