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franchi sans encombre le fleuve qui conduit au séjour futur, ce fleuve que barre un immense tronc d’arbre qui monte et remonte sans cesse du fond à la surface. Voilà l’endroit périlleux qu’il s’agit de traverser tandis que l’arbre est descendu au fond ; autrement, en remontant, il fait chavirer le canot et l’occupant est saisi par Jejekasa8i, l’esprit noir, qui lui dévore l’âme.

L’orateur a des gestes, des attitudes, des jeux de physionomie des plus expressifs. Les respirations halètent, les enfants se rapprochent, les yeux exorbités regardent à vide.

Et le rhapsode poursuit sa cantilène qu’il débite redo tono. On dirait quelque récitatif grégorien avec, alternant chaque strophe, des velléités de vocalises qui tombent en decrescendo mineur comme des gémissements qu’on réprime.

L’assistance, embélinée, écoute avec ferveur. Les yeux grand ouverts ne voient rien, mais l’imagination alerte regarde avec regret les splendeurs passées qu’étale l’amère complainte que, tantôt révolté tantôt suppliant, brame le tribun sacré :

Kchini8ask, ô toi que les hommes à visage blanc appellent Gésu, tourne les yeux vers tes enfants les plus jeunes, écoute nos suppliques.

Longtemps avant que les pères de nos pères vécussent, tu avais donné à tes fils à face rouge, le bois, les lacs et les monts ;

Ô grand chef sur tous les chefs, tu les suivais à la chasse et tu guidais leurs pas vers les lacs clairs comme la lumière du matin et tu allumais le flambeau de leurs yeux qui perçaient la feuillée touffue de la nuit.