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Ah ! que ne sont-ils plutôt tombés tous deux sous les coups des barbares, enlacés dans la mort sinon dans la vie, songe Robert ! Longtemps il s’est bercé de l’espoir de représailles de la part de ses compatriotes, d’une incursion sur quelque poste exposé laquelle amènerait leur délivrance ou leur échange. Mais de longs mois ont passé sans apporter à leur sort aucun allégement, sans même laisser entrevoir un terme à leur captivité, si lointain soit-il.

Non, ce n’est plus le fier artisan au regard serein, au teint animé par le travail, par l’ambition, par l’espoir, trinité sublime qui fait la joie de vivre. Cette physionomie naguère ouverte où se reflétaient l’assurance et le contentement respire maintenant le souci et l’amertume. La lèvre rétractée se refuse à vider la coupe. Sa foi dans l’avenir était trop entière, son âme ne peut se soumettre à cette trahison de la destinée.

Et ce qui attise son tourment, c’est la présence près de lui de sa fiancée, car c’est pour elle seule qu’il s’alarme, qu’il souffre, qu’il agonise

Si, en vérité, Robert est changé, que dire d’Alice Morton, de cette sémillante jeune fille que nous avons connue accorte et enjouée ! Qu’est devenue la fraîcheur de son teint, le carmin de ses lèvres, la rondeur potelée de son bras, la grâce et la vivacité de sa démarche ! Ses beaux yeux pers ont toujours leur charme, mais ils apitoient plutôt qu’ils fascinent. Ses longs cheveux d’or ne sont plus coquettement arrangés ; le rire cristallin ne fuse plus et ne révèle plus l’ivoire des dents. La charpente solide a résisté au vent de l’adversité, mais l’énergie de la jeune fille se lasse à me-