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Pourtant, l’instant d’après, le front du jeune maréchal-ferrant se contractait, l’expression de sa figure s’assombrissait, comme si le tableau évoqué eut fait place à quelque scène moins rassurante. Peut-être son imagination, inquiète de tant de félicité entrevue, avait-elle jeté quelque ombre sinistre dans ce décor radieux !

Il arrive qu’au sein même du bonheur rêvé, on éprouve comme une appréhension affreuse qui en gâte la jouissance. On en vient à redouter le succès parce qu’on sait qu’il est éphémère et qu’il n’est que l’avant-coureur de l’épreuve. Tous les « si » mirifiques que nous suggère notre imagination altérée de bonheur s’écroulent ou trébuchent devant un « mais » décevant. La désillusion suit de si près l’espérance que même les plus beaux rêves laissent une impression inane pénible. On a peur d’être heureux, de se bercer d’illusions par crainte de représailles du sort jaloux qui semble s’ingénier à nous gâter même les moments de répit que, de guerre lasse, il nous octroie par ci par là. Le vent de l’adversité vient infailliblement souffler sur les châteaux de cartes les plus laborieusement édifiés.

Était-ce pareil pressentiment qui avait fait se rembrunir la figure pourtant mâle et résolue de Robert Gardner ?

L’expérience lui avait-elle enseigné que les plus beaux rêves ont parfois de terribles réveils ?

Songeait-il qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et que

« Oft expectation fails, and most oft there
« Where most it promises... »[1]


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  1. All’s well that ends well, acte II, scène I.