Page:Massé - Mena’sen, 1922.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 45 —


V


Pour tels qui jugent superficiellement, Robert Gardner était le jeune homme le plus taciturne du hameau de Deerfield. Sans doute, on se méprenait sur l’expression plutôt sérieuse et même grave de sa figure. En y regardant de plus près, on n’aurait pas manqué de constater que ce défaut d’animation, d’enjouement provenait d’une certaine concentration d’esprit, devenue habituelle à raison de son éducation première, plutôt que d’un tempérament mélancolique.

Certes, il n’était guère loquace, ce garçon bien décuplé, aux grands yeux limpides et rêveurs, à l’abondante chevelure d’ébène. Si sa boutique était une sorte de meeting place, c’est que les chalands ne manquaient pas. Ce n’était certes pas lui qui alimentait la flamme dévorante des potins sursaturés de cant.

Au demeurant, obligeant, serviable, le cœur sur la main. C’est sans doute à cause de sa bienveillance que tout le monde aimait Robert Gardner. On l’aimait encore parce qu’il était laborieux et sobre, amène et réservé, qualités qui n’étaient guère plus communes il y a deux siècles que de nos jours.

Il était beau à voir ce jeune géant de six pieds, au torse rebondi, aux muscles saillants. Les manches retroussées, ceint d’un tablier de cuir et son marteau de forge appuyé sur l’enclume, il semblait la personnification de Vulcain, mais d’un Vulcain vierge dont aucune Vénus n’aurait flétri l’adolescence.

Orphelin dès son bas âge, Robert n’avait pas connu les caresses et les soins d’une mère ; il avait ignoré l’affection et les gâteries d’un père. Élevé par un oncle peu fortuné et obéré de famille, le