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massé… doine
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Hélas ! la passion est mauvaise conseillère et maman, j’en eus trop tôt la preuve, avait raison de me déconseiller ce parti. Mais a-t-on le loisir et éprouve-t-on l’envie de se garantir du classique coup de foudre. D’ailleurs, j’étais jeune, sans expérience et naïve comme un albran. On se mit en ménage, mais notre bonheur ne fut pas de longue durée.

À ses dehors chics, à sa moustache crâne qui fleurait l’angélique, à sa pelisse chatoyante et brillamment colorée, j’avais cru découvrir un dandy de bonne famille. Je ne tardai pas à m’apercevoir que j’avais imprudemment accordé mon cœur et ma patte à un freluquet, à un gommeux, à un muscardin adonisant.

Il m’apparut alors sous ses vraies couleurs. Ma parole ! je crois que l’animal se servait de peroxyde !

Après avoir mangé le plus clair de mon patrimoine et me voyant sans le sou, le drôle leva le pied, un bon jour, sans plus d’esbrouffe, selon une de ses expressions favorites. Je pus alors méditer sur l’amère vérité du vieux dicton : pas d’argent, pas de suisse !

Je me consolai d’autant plus facilement de sa désertion que la constitution qui régit notre tribu autorise la polyandrie et que j’étais par conséquent libre de convoler. Chez nous, une « grass-widow », comme disent nos voisins, les rats, est particulièrement recherchée. Mais tout bien considéré, au risque de manquer de respect à une vieille tradition en honneur dans notre famille et sans vouloir faire ma Sophie, je ne crois guère à l’amour libre tant vanté en certains milieux : à mon sens, amour libre veut dire amours courtes.

Ainsi donc, pour ma part, vive la monogamie ! Pâté d’anguille tant qu’on voudra, j’estime qu’il faut encore préférer la cuisine uniforme mais saine de la famille aux reliefs et au réchauffé des gargotes ou aux ragoûts anonymes et aux gibelottes promiscues concoctés dans les bibines extra-matrimoniales par les Marie Graillon de l’amour !