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les mémoires de nuxette

la récolte, de la cueillette des fruits et des noix en vue de l’hiver. Un écureuil prévoyant ne doit jamais être pris au dépourvu quand la bise est venue, car tout le monde n’a pas l’avantage de la marmotte qui hiverne au dépens de son embonpoint, fruit de ses boulimies estivales. Pour ma part, j’ai trop souci de ma taille pour songer à pareils excès.

D’ailleurs, à cet âge, je n’étais pas regardante de mes pas et démarches. Souvent, la cueille finie, je m’amusais à des courses vertigineuses dans les noyers. Je prenais un malin plaisir à strider à tue-tête sur tous les tons de la gamme, ce qui donnait la frousse aux moineaux apeurés qui s’enlevaient par bandes en poussant de petits cris.

Acroupetonnée sur une branche, je m’enivrais de liberté tout en me gavant l’âme des splendeurs de la nature et les bajoues de succulentes faînes. De temps à autre passaient un monôme de canards sauvages, une théorie d’outardes partant pour le pèlerinage migratoire, le cou religieusement entouré du scapulaire de leur ordre.

Une fois, comme j’étais à faire une cueille de cerises dans un verger voisin, je fus témoin d’une scène peu banale. Sur un banc rustique, au pied du cerisier, était assis un jeune couple. Qui étaient-ils ? C’est ce que j’ignore ; du reste, ma discrétion… Suffit ! Ce que je puis vous dire c’est qu’il l’appelait « ma belle chatte » et qu’elle le nommait « mon gros bébé », qu’ils se bécottaient s’étreignaient, se pinçaient, échangeaient des déclarations bébêtes à pouffer de rire, etc.

Ah ! ce qu’on en apprend des choses et des choses… à travers les branches.

À quelque temps de là, un jeune suisse avec qui j’étais allée cueillir la noisette, certain jour de pique-nique, me demanda en mariage. Maman, qui fut toujours imbue de préjugés religieux, s’opposa d’abord à cette union et tenta de m’en détourner.