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les mémoires de nuxette
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mense solitude où l’on pouvait crier à tue-tête sans crainte d’être grondé. Un arbre était, au point de vue de mes dix ans, un long poteau fiché en terre et garni de branches, perchoirs où oiseaux et écureuils devaient se poser en cibles à nos projectiles. Un rocher, c’était une masse à surface libre de végétation où nous avions beau jeu pour écraser des couleuvres. Les fleurs elles-mêmes, les jolies fleurettes qui détachent leurs tons clairs éclatants d’un fond d’émeraude, n’étaient qu’autant de pièges tendus aux papillons.

Ce jour-là pourtant — je m’en souviens comme si c’était hier — le soleil, tamisé par la trémie du feuillage, jetait çà et là des paillettes d’or. On eût dit un vaste temple aux arceaux ajourés et comme ouvragés de filigrane. Les arbres semblaient des colonnes dont les chapiteaux de branches complétaient l’illusion. La maîtrise elle-même était représentée par des myriades d’oiseaux aux vocalises pleines de suave harmonie. C’est à peine si je remarquai qu’une fraîcheur délicieuse se dégageait de l’herbe resplendissante de rosée. L’oreille du chasseur attentif plutôt que du poète mélomane perçut les pizzicati qu’exécutait de son bec un pic-vert sur le tronc creux et sonore d’une souche, dans le chiaroscuro du sous-bois. Dans le concert harmonieux des oiseaux, je ne vis qu’un indice de menu gibier : j’étais au comble de mes vœux.

Nous cheminions tous trois, Maurice, Henri et moi, l’oreille aux aguets, parlant bas, évitant les branches mortes et les feuilles sèches, lorsque j’aperçus, sur un arbre, à quelques pas du sentier que nous suivions, un gentil écureuil dont l’attitude calme et digne me parut, à ce moment-là, provocatrice.

J’épaulai la fameuse carabine, je mis en joue et… bing ! le coup partit. Le coup partit, si fait, mais l’écureuil, lui, ne partit pas. Sans broncher mais, comme pour me narguer, il fit entendre un petit cri persifleur et ironique qui signifiait clairement : Bis, bis, mon ami !