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massé… doine
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La nuit, on pénétrait fort avant dans le bois afin de pouvoir faire du feu sans crainte d’éveiller l’attention. On en profitait pour se mettre quelque chose sous la dent et restaurer ses forces. On cuisait, dans la cendre ou sur la braise, navets ou patates glanés ici et là dans les champs, on faisait rôtir à la flamme une cuisse de lièvre tué à coups de bâton ou quelque marmotte que Craig déterrait de sa bauge. Car on évitait de tirer du fusil si ce n’est dans les cas urgents, par exemple pour tenir en respect un loup affamé ou un ours alléché par le relent de ces fritures improvisées.

La nuit aussi, la crainte peuplait la solitude de fantômes terrifiants de soldats en armes, de carnassiers en furie, de meutes lancées à leurs trousses. Le silence de la forêt s’emplissait de la rumeur effrayante des loups qui hurlaient, des renards qui glapissaient ou des ours qui grognaient sourdement. Si le loup redoute le feu, l’ours, au contraire, y est attiré. Certes, à cette saison de l’année, Maître Martin, quand il n’est pas terré ou « ouaché » n’est guère à redouter, mais enfin c’est un voisinage que personne ne recherche, car l’appétit d’un ours, même d’un ours bien gavé, a parfois d’étranges caprices.

Dans tous les cas, nos patriotes ne comptaient guère plus sur la bienveillance des fauves que sur l’indulgence des tories et si Roberts, succombant à la fatigue, goûtait quelque sommeil, ce n’était certes pas ce sommeil paisible et réparateur qui réconforte et revivifie.

Mais le matin, lorsque, de quelque hauteur, la vue pouvait embrasser l’horizon, on sentait son cœur battre plus fort en reconnaissant l’Orford dont la boule devenait plus distincte à mesure qu’avançait l’expédition. La neige en couvrait le sommet. On aurait dit un crâne chauve avec, à l’occiput et sur les tempes, la chevelure ébouriffée des sapinages.

L’imminence du péril aiguillonnait les fugitifs. On procédait par marches forcées afin de compenser l’inaction de la nuit.