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mauvais persil, maudite grêle

Le lendemain, ce fut un beau potin dans la presse locale qui n’a pas tous les jours pareil régal à servir à ses lecteurs. On rapportait, avec manchette, sous-titres et tout l’appareil typographique des grandes circonstances, qu’un paisible citoyen qui avait déclaré se nommer Omer Latrime et être employé comme comptable au Ministère de la Morale, avait porté plainte à la Sûreté contre deux individus — « qu’on croit venir de Montréal » — qui l’avaient attaqué à main armée alors qu’il se promenait sur la Terrasse, la nuit précédente, à une heure avancée, lui enlevant tout son argent, savoir 4,35 $. Les journaux du soir ajoutèrent la photographie de Latrime qui ne manqua pas d’adresser à ses parents et amis des exemplaires du Soleil.

À la comptabilité, Latrime prit figure de héros d’aventures : ses collègues le félicitèrent, commentèrent flatteusement son sang-froid, sa crânerie, et je crois même qu’il y eut des envieux qui insinuèrent que Latrime se vantait en exagérant la somme à lui extorquée.

L’après-midi, Latrime était mandé nommément dans le cabinet du Ministre. Le pauvre diable ne se sentait pas d’aise. Enfin, il cessait d’être un obscur, un anonyme rond-de-cuir. Après avoir peiné toute sa vie d’humble fonctionnaire il verrait donc reconnaître son mérite. Il escomptait des compliments officiels, un supplément peut-être,