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à vau-le-nordet

Moi qui n’ai fait que passer sur la Terrasse, j’y ai vu défiler une véritable galerie historique, tout un panthéon de célébrités nationales. J’y ai vu, par exemple, déambuler d’un pas alerte, deux figures à médaille : Wilfrid Laurier et Adélard Turgeon ; j’y ai également vu, vous vous en doutez, des têtes à gambier que je suis bien trop charitable pour autrement signaler à vos moqueries. J’y ai vu M. Untel avec son repoussoir M. Telautre, ainsi que Madame Chose avec son sigisbée, M. Machin. J’y ai vu — siècle présent, peux-tu m’en croire ? — j’y ai vu sourire sir Lomer. C’est sans doute que Charles Langelier lui en racontait une bonne.

On y voit des types d’un pittoresque achevé : des nouveau-riches en redingotes, huit reflets et souliers jaunes, des fonctionnaires râpés qui ont des attitudes de poètes et des têtes de musiciens, des politiciens qui posent à l’homme d’État avec des gestes à la Mirabeau, des demoiselles qui apportent un livre pour se donner une contenance et de la gomme à mâcher pour s’occuper l’esprit.

Je vous dis que l’observateur, profond philosophe ou simple badaud, en a pour son argent. Les gargouilles du Château, pourtant accoutumées à voir les choses de haut, grimacent la moue désabusée des vieux roués à qui on ne la fait plus.

La Terrasse chôme rarement. Le Nordet, jaloux de cette vogue, a beau faire des siennes, elle peut se voir délaissée des plus tièdes mais jamais elle