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quelques lettres

Éclaire-moi au plus tôt car je ne tiens pas à passer pour plus niais et moins patriote que mes camarades.

Je me demande également — suis-je incorrigible ! — s’il n’y a pas chauvinisme chez les uns et snobisme chez les autres à s’extasier sur la préexcellence du droit criminel anglais.

Je ne conteste pas l’équité du principe fondamental qui présume qu’on est innocent tant qu’on n’a pas été convaincu de crime. C’est de bonne justice sociale et de louable charité chrétienne. Jusque-là, j’applaudis. Mais comment se fait-il que l’Anglais, d’ordinaire si pratique, pousse jusqu’à l’absurde les conclusions de ses prémisses ?

Ce qui arrive dans la vie réelle est ceci : la justice se met en quatre pour découvrir un criminel ; mais il n’est pas plutôt arrêté qu’on le traite aux petits oignons. On le choie, on lui donne les meilleurs médecins s’il tombe malade, on repousse ses aveux, on lui accorde un avocat, on défend de l’assigner en témoignage de crainte qu’il ne s’incrimine. À part ça, on lui donne trois chances de s’échapper : le magistrat enquêteur, le grand jury[1] le petit jury. Si, malgré toutes ces précautions, il écope, il lui reste le recours en grâce auprès du Gouverneur général.

En d’autres termes, la justice se saisit d’un

  1. Ce n’est qu’en 1933 qu’on a vu supprimer de notre système d’instruction criminelle cette dispendieuse superfétation qu’était le grand jury. (23 Geo. V, cap. 67.)