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à vau-le-nordet

Oui, je découvre et Kébec et la vie et le monde, et je dois t’avouer que je suis encore moins ébahi de la ville que du reste. (Notre philologue national — Adjutorium nostrum — ne veut pas qu’on dise « ébaroui ».)

C’est là, crois-tu, l’expérience de tout jeune homme qui a vécu ou germé dans l’ombre d’un pensionnat pendant huit ou dix ans et qui se trouve brusquement exposé au grand soleil de la vie.

Aveuglé ? Ébloui ? Comme tu voudras, et je suis prêt à convenir que ce sont mes yeux et non pas la lumière qui ont tort.

Peut-être quand je me serai ressaisi, apprécierai-je différemment les hommes et les idées. J’y compte bien, autrement, j’aboutirais au pessimisme, ce qui ne doit pas être gai. Aussi, garde-toi bien de prendre mes épîtres pour autre chose que des balbutiements d’enfant qui s’essaie à parler, des tâtonnements de bambin qui esquisse ses premiers pas, des boutades ou des bêtises peut-être d’apprenti penseur qui risque d’impubères ratiocinations.

Au surplus, tu es bien trop malin pour ne pas me démêler sans que je te répère, même quand j’affecte de poser au barbon aigri par l’expérience ou au bizut ingénu que scandalise le siècle. Ça n’est pas à son père… non plus qu’à son oncle qu’on apprend à faire des enfants. Marchand d’oignons, tu te connais parfaitement en ciboule.