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Et un amour qui a résisté à huit ans de mariage n’apporte-t-il pas avec lui la certitude complète du bonheur intime ?

Cependant, plus que tout autre jour, elle désirerait ce soir-là qu’il ne fût point en retard. Henriette et Suzanne l’attendent avec impatience et la maison elle-même, avec ses fleurs à profusion, son air souriant de fête, semble étonnée de ce silence et de cette solitude.

C’est que, justement, il y a sept ans que Suzanne est née : Suzanne, l’unique enfant, l’enfant gâtée, l’adoration du père.

Et, dans les longues heures de la journée, depuis l’avant-veille, Henriette lui fait réciter quelques mots qu’elle lui apprend par cœur et par lesquels Suzanne va souhaiter la bienvenue à Roger, dans un instant, lorsqu’il entrera.

Écoutez la voix grave de la mère et le cristal pur de la petite fille, chuchotant, n’osant parler haut, afin de conserver bien à elles, pour quelques minutes encore, le mystère de leur douce surprise.

— Tu n’as pas oublié, chère enfant ?

— Oh ! non, mère, je n’ai rien oublié.

— Que diras-tu à ton père, lorsqu’il t’embrassera ?

— Je lui dirai : « Père, je t’aime depuis sept ans. Je t’aime autant que maman. Je sais que tu consacres ta vie à préparer la mienne, et que tu te fatigues pour que je sois heureuse plus tard. Mais, père chéri, je ne suis jamais si heureuse que quand tu m’embrasses. Je sais que tu es indulgent pour moi, et tous les jours je t’aime davantage, parce que, tous les jours, je vois combien tu es bon. Si je t’ai fait de la peine, père chéri, c’est sans le savoir… et je t’en demande pardon ! »

— Et tu penses ce que tu dis, n’est-ce pas, mon enfant ?

— Oh ! mère, dit la mignonne en jetant les deux bras autour du cou d’Henriette, c’est vrai, sais-tu bien que je l’aime autant que toi !

La demie de huit heures sonna.

Henriette ont un geste de surprise.

— Ton père ne dînera pas avec nous ce soir, dit-elle, viens. Je ne veux pas que tu attendes plus longtemps.

Elles passèrent dans la salle à manger.

Mme Laroque sonna pour qu’on servît. Il n’y avait, à la villa, pour tout domestique, qu’un cocher, une cuisinière et une femme de chambre, Victoire, laquelle était au service d’Henriette depuis deux jours seulement.

Le dîner fut silencieux.

Malgré elle, un vague sentiment de crainte oppressait le cœur de la jeune femme.