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Les frissons sacrés des pieuses ardeurs, des élans chevaleresques, de la sensibilité bourgeoise, elle les a noyés dans le flot glacé de l’égoïsme calculateur. Elle a monnayé en valeurs d’échange la dignité de la personne humaine, et, à la place de toutes les libertés ardemment poursuivies et chèrement conquises, elle a installé, toute seule, la liberté sans âme des transactions commerciales. En un mot, à l’exploitation déguisée sous un illusoire costume de religion et de politique, elle a substitué l’exploitation patente, sans pudeur, directe et brutale.

La bourgeoisie a dépouillé de leur nimbe tous les emplois de l’activité humaine que jusqu’alors on respectait et contemplait avec une pieuse vénération. Du médecin, du juriste, du prêtre, du poète, du savant, elle a fait des salariés à ses gages.

La bourgeoisie a arraché le voile d’émotion et de sentimentalité dont se glorifiait la famille, et le lien familial n’a plus été qu’une affaire d’argent.

La bourgeoisie a montré au grand jour comment l’expansion de force brutale, que la réaction admire si fort dans le moyen-âge, vint s’achever très logiquement dans la plus crapuleuse paresse. Elle a, comme personne ne l’avait fait avant elle, montré de quoi est capable l’activité humaine. Elle a réalisé de tout autres merveilles que les pyramides d’Egypte, les aqueducs romains et les cathédrales gothiques ; elle a accompli de tout autres campagnes qu’invasions et que croisades.