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de les avoir, il est vrai, terriblement déformées[1], Mais lorsque de nos jours des gens qui doivent pourtant savoir à quoi s’en tenir à ce sujet et qui prétendent connaître les théories économiques et politiques de Karl Marx, s’en vont colportant, comme une caractéristique de la conception syndicale de Marx, la caricature de celle-ci dans le compte rendu de Hamann, il y a là l’expression d’une volonté délibérée de falsification et un vil escamotage politique. Dans ces Annexes nous avons cité suffisamment de témoignages directs de Marx et nous ne ferons que rappeler encore une fois la résolution de Genève : « Il faut que les syndicats soutiennent chaque mouvement social et politique qui tend à ce but ». D’ailleurs il existe d’autres indices qui montrent que Hamann n’a pas compris Marx, par exemple, lorsqu’il lui fait dire qu’il faut poursuivre la suppression du travail des femmes dans les fabriques. La correction qu’il faut appliquer à la reproduction de la conversation avec Marx ressort. facilement de la position prise par ailleurs par Marx.

Voici le compte rendu de Hamann :

Ma première question au docteur Karl Marx fut celle-ci : « Faut-il que les syndicats soient de préférence sous la domination d’une association politique s’ils veulent être viables ? La réponse fut : Jamais. les syndicats ne doivent être rattachés à une association politique ou sous sa dépendance s’ils veulent accomplir leur tâche ; le faire c’est leur porter un coup mortel. Les syndicats sont les écoles du socialisme. C’est dans les syndicats que les ouvriers s’éduquent et deviennent socialistes parce que, tous les jours, se mène sous leurs yeux la lutte avec le Capital. Tous les partis politiques, quels qu’ils puissent être, sans exception, n’enthousiasment les masses des ouvriers qu’un certain temps, momentanément ; les syndicats, par contre, captent la masse de façon durable ; seuls, ils sont capables de représenter un véritable parti ouvrier et d’opposer un rempart à la puissance du Capital. La grande masse des ouvriers, à quelque parti qu’ils appartiennent, est arrivée à comprendre qu’il faut que sa situation matérielle soit améliorée. Or, une fois la situation matérielle de l’ouvrier améliorée, il peut se consacrer à l’éducation de ses enfants, sa femme et ses enfants n’ont pas besoin d’aller à la fabrique, il peut lui-même cultiver davantage son esprit, mieux soigner son corps, il devient alors socialiste sans s’en douter.

Enfin, il [Marx] nous donna encore le conseil de ne jamais nous enchaîner à des individus, mais d’avoir toujours présente à l’esprit la cause et de nous faire notre jugement d’après elle. « Que vous importe Liebknecht, Dr. Schweitzer, que vous importe ma personne, rien que la cause — telle est la vérité. » (Volksstaat n° 17 de 1869, reproduit aussi dans l’Histoire du mouvement des charpentiers allemands de Bringmann, Stuttgart 1903 I, p. 364 et suivantes.)

  1. Lorsque Kautsky était encore marxiste, il s’est dressé de la façon la plus résolue contre l’interprétation réformiste de ce compte. rendu de Hamann : « On a cherché à jouer de cet interview en faveur de l’idée de la neutralité politique des syndicats, mais c’est à tort ». (Karl Kautsky : « Secte ou parti de classe ». Neue Zeit, n° 27, 12e année, page 8, avril 1909.)