Page:Marx - Travail salarié et capital, 1931.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les grandes crises il y a pour chaque profession une certaine marge dans les limites de laquelle les salaires peuvent être modifiés par la lutte entre ouvriers et patrons. Dans tous les cas les salaires sont fixés au moyen d’un accord. Et dans un accord c’est celui qui peut fournir la résistance la plus longue et la meilleure qui a la plus grande chance d’obtenir plus qu’il ne lui reviendrait autrement. Lorsque l’ouvrier isolé conclut un contrat de travail avec le capitaliste, il est ordinairement vaincu et contraint d’accepter les conditions qui lui sont offertes. Mais lorsque tous les ouvriers d’une profession créent une organisation solide, réunissent entre eux de l’argent pour faire front contre leurs employeurs dans les moments d’épreuves et qu’ils se trouvent par là en mesure de se présenter en face d’eux comme une puissance, alors, et seulement alors, ils ont des chances de recevoir ce minimum qui, suivant la composition actuelle de la société peut être appelé « un salaire équitable pour un travail équitable ».

Mais la loi du salaire n’est pas abolie par la lutte des syndicats. Au contraire, on ne fait justement alors que l’appliquer. Sans les moyens de résistance des syndicats l’ouvrier ne touche même pas ce qui lui revient suivant les normes de la loi du salaire. Seule la crainte des syndicats peut contraindre le capitaliste à accorder aux ouvriers la pleine valeur courante de la force de travail. Vous en exigez une preuve ? Alors comparez les salaires qui sont consentis aux membres des grands syndicats avec ceux qui sont payés dans les innombrables petites entreprises de ce marais pestilentiel et terrifiant situé dans l’est de Londres.

Donc, les syndicats ne luttent pas contre la loi du salaire. Mais ce n’est pas le salaire élevé ou inférieur qui amène la dégradation de la classe ouvrière. Cette dégradation consiste dans le fait que la classe ouvrière, au lieu de recevoir le produit intégral de son travail[1], doit se contenter d’une partie, de la partie qu’on appelle salaire. Le capitaliste empoche le produit tout entier parce qu’il est possesseur des moyens de travail et il s’en sert pour payer les salaires du travail. C’est pourquoi il n’y a pas d’émancipation possible de la classe ouvrière tant qu’elle ne sera pas en possession de tous les moyens de travail : terre, matières premières, machines, etc., et partant en possession du produit tout entier de son travail.

  1. Engels accorde ici à la classe ouvrière le produit intégral de son travail, c’est la façon populaire de formuler le but final communiste et qu’il faut bien distinguer de la formule non communiste et économiquement impossible : « A chaque ouvrier le produit intégral de son travail ». (Voir Marx-Engels, Critique du programme de Gotha, pp. 28 et suivantes et Engels Contribution au problème de l’habitation (Zur Wohnungsfrage) p. 43.)