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fort et ne se fatigue pas de ressasser ses fades plaisanteries contre le fétichisme des mercantilistes, est-elle moins la dupe des apparences ? N’est-ce pas son premier dogme que des choses, des instruments de travail, par exemple, sont, par nature, capital, et, qu’en voulant les dépouiller de ce caractère purement social, on commet un crime de lèse-nature ? Enfin, les physiocrates, si supérieurs à tant d’égards, n’ont-ils pas imaginé que la rente foncière n’est pas un tribut arraché aux hommes, mais un présent fait par la nature même aux propriétaires ? Mais n’anticipons pas et contentons-nous encore d’un exemple à propos de la forme marchandise elle-même.

Les marchandises diraient, si elles pouvaient parler : notre valeur d’usage peut bien intéresser l’homme ; pour nous, en tant qu’objets, nous nous en moquons bien. Ce qui nous regarde c’est notre valeur. Notre rapport entre nous comme choses de vente et d’achat le prouve. Nous ne nous envisageons les unes les autres que comme valeurs d’échange. Ne croirait-on pas que l’économiste emprunte ses paroles à l’âme même de la marchandise quand il dit : « la valeur (valeur d’échange), est une propriété des choses, la richesse (valeur d’usage), est une propriété de l’homme. La valeur dans ce sens suppose nécessairement l’échange, la richesse, non[1]. » « La richesse (valeur utile), est un attribut de l’homme, la valeur, un attribut des marchandises. Un homme ou bien une communauté est riche, une perle ou un diamant possèdent de la valeur et la possèdent comme tels[2]. » Jusqu’ici aucun chimiste n’a découvert de valeur d’échange dans une perle ou dans un diamant. Les économistes qui ont découvert ou inventé des substances chimiques de ce genre, et qui affichent une certaine prétention à la profondeur, trouvent, eux, que la valeur utile des choses leur appartient indépendamment de leurs propriétés matérielles, tandis que leur valeur leur appartient en tant que choses. Ce qui les confirme dans cette opinion, c’est cette circonstance étrange que la valeur utile des choses se réalise pour l’homme sans échange, c’est-à-dire dans un rapport immédiat entre la chose et l’homme, tandis que leur valeur, au contraire, ne se réalise que dans l’échange, c’est-à-dire dans un rapport social. Qui ne se souvient ici du bon Dogberry et de la leçon qu’il donne au veilleur de nuit Seacoal : « Être un homme bien fait est un don des circonstances, mais savoir lire et écrire, cela nous vient de la nature[3]. » « To be a well favoured man is the gift of fortune ; but to write and read comes by nature. » (Shakespeare.)

  1. « Value is a property of things, riches of man. Value, in this sense, necessarily implies exchanges, riches do not. » (Observations on certain verbal Disputes in Pol. Econ. particularly relating to value and to offer and demand, London, 1821, p. 16.)
  2. « Riches are the attribute of man, value is the attribute of commodities. A man or a community is rich, a pearl or a diamond is valuable… A pearl or a diamond is valuable as a pearl or diamond. » (S. Bailey, l. c. p. 165.)
  3. L’auteur des Observations et S. Bailey accusent Ricardo d’avoir fait de la valeur d’échange chose purement relative, quelque chose d’absolu. Tout au contraire, il a ramené la relativité apparente que ces objets, tels que perle et diamant, par exemple, possèdent comme valeurs d’échange, au vrai rapport caché sous cette apparence, à leur relativité comme simples expressions de travail humain. Si les partisans de Ricardo n’ont su répondre à Bailey que d’une manière grossière et pas du tout concluante, c’est tout simplement parce qu’ils n’ont trouvé chez Ricardo lui-même rien qui les éclairât sur le rapport intime qui existe entre la valeur et sa forme, c’est-à-dire la valeur d’échange.