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L’aristocratie terrienne avait pour général en chef dans sa campagne philanthropique contre les fabricants le comte de Shaftesbury (ci-devant Lord Ashley). Aussi fut-il le principal point de mire des révélations que le Morning Chronicle publiait de 1844 à 1845. Cette feuille, le plus important des organes libéraux d’alors, envoya dans les districts ruraux des correspondants qui, loin de se contenter d’une description et d’une statistique générales, désignèrent nominalement les familles ouvrières visitées et leurs propriétaires. La liste suivante spécifie les salaires payés dans trois villages, aux environs de Blandford, Wimbourne et Poole, villages appartenant à M. G. Bankes et au comte de Shaftesbury. On remarquera que ce pontife de la basse église (low church), ce chef des piétistes anglais empoche, tout comme son compère Bankes, sous forme de loyer, une forte portion du maigre salaire qu’il est censé octroyer à ses cultivateurs.

[Table Premier village]

[Table Deuxième village]


L’abrogation des lois sur les céréales donna à l’agriculture anglaise une nouvelle et merveilleuse impulsion. Drainage tout à fait en grand[1], nouvelles méthodes pour nourrir le bétail dans les étables et pour cultiver les prairies artificielles, introduction d’appareils mécaniques pour la fumure des terres, manipulation perfectionnée du sol argileux, usage plus fréquent des engrais minéraux, emploi de la charrue à vapeur et de toutes sortes de nouvelles machines-outils, etc., en général, culture intensifiée, voilà ce qui caractérise cette époque. Le président de la Société royale d’agriculture, M. Pusey, affirme que l’introduction des machines a fait diminuer de près de moitié les frais (relatifs) d’exploitation. D’un autre côté, le rendement positif du sol s’éleva rapidement. La condition essentielle du nouveau système était un plus grand déboursé de capital, entraînant nécessairement une concentration plus rapide des fermes[2]. En même temps, la superficie des terres mises en culture augmenta, de 1846 à 1865, d’environ quatre cent soixante-quatre mille cent dix-neuf acres, sans parler des grandes plaines des comtés de l’est, dont les garennes et les maigres pâturages furent transformés en magnifiques champs de blé. Nous savons déjà que le nombre total des personnes employées dans l’agriculture diminua dans la même période. Le nombre des cultivateurs proprement dits des deux sexes et de tout âge, tomba, de 1851 à 1861,

  1. Dans ce but, l’aristocratie foncière s’avança à elle-même — par voie parlementaire naturellement, — sur la caisse de l’État, et à un taux très peu élevé, des fonds que les fermiers lui restituent au double.
  2. La catégorie du recensement national qui embrasse les « fils, petits fils, frère, neveu, fille, sœur, nièce, etc., du fermier », en un mot, les membres de la famille, que le fermier emploie lui-même, comptait en 1851 : deux cent seize mille huit cent cinquante et un individus, mais seulement cent soixante-seize mille cent cinquante et un en 1861. La décroissance de ce chiffre prouve la diminution des fermiers d’une fortune, moyenne. — De 1851 à 1971, les petites fermes qui cultivent moins de vingt acres ont diminué de plus de neuf cents, celles qui en occupent cinquante jusqu’à soixante-quinze sont tombées de huit mille deux cent cinquante-trois à six mille trois cent soixante-dix, et le même mouvement descendant l’a emporté dans toutes les autres fermes au-dessous de cent acres. Par contre, le chiffre des grandes fermes s’est considérablement élevé dans la même période ; celles de trois cents à cinq cents acres se sont accrues de sept mille sept cent soixante et onze à huit mille quatre cent dix, celles au-dessus de cinq cents acres, de deux mille sept cent cinquante cinq à trois mille neuf cent quatorze celles au-dessus de mille acres, de quatre cent quatre-vingt-douze à cinq cent quatre vingt deux, etc.