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lui en fasse un revenu additionnel.) « Le produit du travail », dit J. St. Mill, « est aujourd’hui distribué en raison inverse du travail ; la plus grande part est pour ceux qui ne travaillent jamais ; puis les mieux partagés sont ceux dont le travail n’est presque que nominal, de sorte que de degré en degré la rétribution se rétrécit à mesure que le travail devient plus désagréable et plus pénible, si bien qu’enfin le labeur le plus fatigant, le plus exténuant, ne peut pas même compter avec certitude sur l’acquisition des choses les plus nécessaires à la vie[1]. »

Ce qu’il aurait donc fallu prouver avant tout, c’était que, malgré son origine toute récente, le mode capitaliste de la production sociale en est néanmoins le mode immuable et « naturel ». Mais, même dans les données du système capitaliste, il est faux que le « fonds de salaire » soit prédéterminé ou par la grandeur de la richesse sociale ou par celle du capital social.

Le capital social n’étant qu’une fraction variable et flottante de la richesse sociale, le fonds de salaire, qui n’est qu’une quote-part de ce capital, ne saurait être une quote-part fixe et prédéterminée de la richesse sociale : de l’autre côté, la grandeur relative du fonds de salaire dépend de la proportion suivant laquelle le capital social se divise en capital constant et en capital variable, et cette proportion, comme nous l’avons déjà vu et comme nous l’exposerons encore plus en détail dans les chapitres suivants, ne reste pas la même durant le cours de l’accumulation.

Un exemple de la tautologie absurde à laquelle aboutit la doctrine de la quantité fixe du fonds de salaire nous est fourni par le professeur Fawcett.

« Le capital circulant d’un pays », dit-il « est son fonds d’entretien du travail. Pour calculer le salaire moyen qu’obtient l’ouvrier, il suffit donc de diviser tout simplement ce capital par le chiffre de la population ouvrière[2] », c’est-à-dire que l’on commence par additionner les salaires individuels actuellement payés pour affirmer ensuite que cette addition donne la valeur « du fonds de salaire ». Puis on divise cette somme, non par le nombre des ouvriers employés, mais par celui de toute la population ouvrière, et l’on découvre ainsi combien il en peut tomber sur chaque tête ! La belle finesse !

Cependant, sans reprendre haleine, M. Fawcett continue : « La richesse totale, annuellement accumulée en Angleterre, se divise en deux parties : l’une est employée chez nous à l’entretien de notre propre industrie ; l’autre est exportée dans d’autres pays… La partie employée dans notre industrie ne forme pas une portion importante de la richesse annuellement accumulée dans ce pays[3]. »

Aussi la plus grande partie du produit net, annuellement croissant, se capitalisera non en Angleterre, mais à l’étranger. Elle échappe donc à l’ouvrier anglais sans compensation aucune. Mais, en même temps que ce capital surnuméraire, n’exporterait-on pas aussi par hasard une bonne partie du fonds assigné au travail anglais par la Providence et par Bentham[4] ?

  1. J. St. Mill : « Principles of Pol. Economy. »
  2. H. Fawcett : Prof. of Pol. Econ. at Cambridge : « The Economic Position ofthe British Labourer. » London, 1865, p. 120.
  3. L. c., p. 123, 124.
  4. On pourrait dire que ce n’est pas seulement du capital que l’on exporte de l’Angleterre, mais encore des ouvriers, sous forme d’émigration. Dans le texte, bien entendu, il n’est point question du pécule des émigrants, dont une grande partie se compose d’ailleurs de fils de fermiers et de membres des classes supérieures. Le capital surnuméraire transporté chaque année de l’Angleterre à l’étranger pour y être placé à intérêts, est bien plus considérable par rapport à l’accumulation annuelle que ne l’est l’émigration annuelle par rapport à l’accroissement annuel de la population.