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dépend donc de sa propre composition et non de la circulation.

La production annuelle doit en premier lieu fournir tous les articles propres à remplacer en nature les éléments matériels du capital usés pendant le cours de l’année. Cette déduction faite, reste le produit net dans lequel réside la plus-value.

En quoi consiste donc ce produit net ?

Assurément en objets destinés à satisfaire les besoins et les désirs de la classe capitaliste, ou à passer à son fonds de consommation. Si c’est tout, la plus-value sera dissipée en entier et il n’y aura que simple reproduction.

Pour accumuler, il faut convertir une partie du produit net en capital. Mais, à moins de miracles, on ne saurait convertir en capital que des choses propres à fonctionner dans le procès de travail, c’est-à-dire des moyens de production, et d’autres choses propres à soutenir le travailleur, c’est-à-dire des subsistances. Il faut donc qu’une partie du surtravail annuel ait été employée à produire des moyens de production et de subsistance additionnels, en sus de ceux nécessaires au remplacement du capital avancé. En définitive, la plus-value n’est donc convertible en capital que parce que le produit net, dont elle est la valeur, contient déjà les éléments matériels d’un nouveau capital[1].

Pour faire actuellement fonctionner ces éléments comme capital, la classe capitaliste a besoin d’un surplus de travail qu’elle ne saura obtenir, à part l’exploitation plus extensive ou intensive des ouvriers déjà occupés, qu’en enrôlant des forces de travail supplémentaires. Le mécanisme de la production capitaliste y a déjà pourvu en reproduisant la classe ouvrière comme classe salariée dont le salaire ordinaire assure non seulement le maintien, mais encore la multiplication.

Il ne reste donc plus qu’à incorporer les forces de travail additionnelles, fournies chaque année à divers degrés d’âge par la classe ouvrière, aux moyens de production additionnels que la production annuelle renferme déjà.

Considérée d’une manière concrète, l’accumulation se résout, par conséquent, en reproduction du capital sur une échelle progressive. Le cercle de la reproduction simple s’étend et se change, d’après l’expression de Sismondi[2], en spirale.

Revenons maintenant à notre exemple. C’est la vieille histoire : Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, etc. Le capital primitif de 250 000 francs rend une plus-value de 50 000 francs qui va être capitalisée. Le nouveau capital de 50 000 francs rend une plus-value de 10 000 francs, laquelle, après avoir été à son tour capitalisée ou convertie en un deuxième capital additionnel, rend une plus-value de 2 000 francs, et ainsi de suite.

Nous faisons ici abstraction de l’aliquote de plus-value mangée par le capitaliste. Peu nous importe aussi pour le moment que les capitaux additionnels s’ajoutent comme incréments au capital primitif ou s’en séparent et fonctionnent indépendamment, qu’ils soient exploités par le même individu qui les a accumulés, ou transférés par lui à d’autres mains. Seulement il ne faut pas oublier que côte à côte des capitaux de nouvelle formation, le capital primitif continue à se reproduire et à produire de la plus-value et que cela s’applique de même à chaque capital accumulé par rapport au capital additionnel qu’il a engendré à son tour.

Le capital primitif s’est formé par l’avance de 250 000 francs. D’où l’homme aux écus a-t-il tiré cette richesse ? De son propre travail ou de celui de ses aïeux, nous répondent tout d’une voix les porte-parole de l’économie politique[3], et leur hypothèse semble en effet la seule conforme aux lois de la production marchande.

Il en est tout autrement du capital additionnel de 50 000 francs. Sa généalogie nous est parfaitement connue. C’est de la plus-value capitalisée. Dès son origine il ne contient pas un seul atome de valeur qui ne provienne du travail d’autrui non payé. Les moyens de production auxquels la force ouvrière additionnelle est incorporée, de même que les subsistances qui la soutiennent, ne sont que des parties intégrantes du produit net, du tribut arraché annuellement à la classe ouvrière par la classe capitaliste. Que celle-ci, avec une quote-part de ce tribut, achète de celle-là un surplus de force, et même à son juste prix, en échangeant équivalent contre équivalent, cela revient à l’opération du conquérant tout prêt à payer de bonne grâce les marchandises des vaincus avec l’argent qu’il leur a extorqué.

Si le capital additionnel occupe son propre producteur, ce dernier, tout en continuant à mettre en valeur le capital primitif, doit racheter les fruits de son travail gratuit antérieur par plus de travail additionnel qu’ils n’en ont coûté. Considéré comme transaction entre la classe capitaliste et la classe ouvrière, le procédé reste le même quand, moyennant le travail gratuit des ouvriers occupés, on embauche des ouvriers supplémentaires. Le nouveau capital peut aussi servir à acheter une machine, destinée à jeter sur le pavé et à remplacer par un couple d’enfants les mêmes hommes auxquels il a dû sa naissance. Dans tous les cas, par son surtravail de cette année, la classe ouvrière a créé le capital additionnel qui occupera l’année prochaine du travail additionnel[4], et c’est ce qu’on appelle créer du capital par le capital.

L’accumulation du premier capital de 50 000 fr. présuppose que la somme de 250 000 fr., avancée

  1. On fait ici abstraction du commerce étranger au moyen duquel une nation peut convertir des articles de luxe en moyens de production ou en subsistances de première nécessité, et vice versa. Pour débarrasser l’analyse générale d’incidents inutiles, il faut considérer le monde commerçant comme une seule nation, et supposer que la production capitaliste s’est établie partout et s’est emparée de toutes les branches d’industrie.
  2. L’analyse que Sismondi donne de l’accumulation a ce grand défaut qu’il se contente trop de la phrase « conversion du revenu en capital » sans assez approfondir les conditions matérielles de cette opération.
  3. « Le travail primitif auquel son capital a dû sa naissance. » (Sismondi, l. c., éd. de Paris, t. I, p. 109.)
  4. « Le travail crée le capital avant que le capital emploie le travail. » (Labour creates capital, before capital employs labour.) E. G. Wakefield : « England and America. » London, 1833, v. II, p. 110.