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3o La valeur absolue de la force de travail ne peut changer que par la réaction que le prolongement du surtravail exerce sur le degré d’usure de cette force. Tout mouvement dans sa valeur absolue est donc l’effet, et jamais la cause, d’un mouvement dans la grandeur de la plus-value.

Nous supposerons toujours dans ce chapitre, comme dans la suite, que la journée de travail comptant originairement douze heures, — six heures de travail nécessaire et six heures de surtravail — produit une valeur de six francs, dont une moitié échoit à l’ouvrier et l’autre au capitaliste.

Commençons par le raccourcissement de la journée, soit de douze heures à dix. Dès lors elle ne rend plus qu’une valeur de cinq francs. Le surtravail étant réduit de six heures à quatre, la plus-value tombe de trois francs à deux. Cette diminution dans sa grandeur absolue entraîne une diminution dans sa grandeur relative. Elle était à la valeur de la force de travail comme 3 est à 3, et elle n’est plus que comme 2 est à 3. Par contrecoup, la valeur de la force de travail, tout en restant la même, gagne en grandeur relative ; elle est maintenant à la plus-value comme 3 est à 2 au lieu d’être comme 3 est à 3.

Le capitaliste ne pourrait se rattraper qu’en payant la force de travail au‑dessous de sa valeur.

Au fond des harangues habituelles contre la réduction des heures de travail se trouve l’hypothèse que le phénomène se passe dans les conditions ici admises ; c’est-à-dire qu’on suppose stationnaires la productivité et l’intensité du travail, dont, en fait, l’augmentation suit toujours de près le raccourcissement de la journée, si elle ne l’a pas déjà précédé[1].

S’il y a prolongation de la journée, soit de douze heures à quatorze, et que les heures additionnelles soient annexées au surtravail, la plus-value s’élève de trois francs à quatre. Elle grandit absolument et relativement, tandis que la force de travail, bien que sa valeur nominale reste la même, perd en valeur relative. Elle n’est plus à la plus-value que dans la raison de 3 à 4.

Comme, dans nos données, la somme de valeur quotidiennement produite augmente avec la durée du travail quotidien, les deux parties de cette somme croissante — la plus-value et l’équivalent de la force de travail — peuvent croître simultanément d’une quantité égale ou inégale, de même que dans le cas où le travail devient plus intense.

Avec une journée prolongée, la force de travail peut tomber au‑dessous de sa valeur, bien que son prix reste invariable ou s’élève même. Dans une certaine mesure, une plus grande recette peut compenser la plus grande dépense en force vitale que le travail prolongé impose à l’ouvrier[2]. Mais il arrive toujours un point où toute prolongation ultérieure de sa journée raccourcit la période moyenne de sa vie, en bouleversant les conditions normales de sa reproduction et de son activité. Dès lors le prix de la force de travail et son degré d’exploitation cessent d’être des grandeurs commensurables entre elles.

IV

Données : Variations simultanées dans la durée, la productivité et l’intensité du travail.

La coïncidence de changements dans la durée, la productivité et l’intensité du travail donnent lieu à un grand nombre de combinaisons, et, par conséquent, de problèmes qu’on peut cependant toujours facilement résoudre en traitant tour à tour chacun des trois facteurs comme variable, et les deux autres comme constants, ou en calculant le produit des trois facteurs qui subissent des variations. Nous ne nous arrêterons ici qu’à deux cas d’un intérêt particulier. Diminution de la productivité du travail et prolongation simultanée de sa durée.

Mettons que par suite d’un décroissement dans la fertilité du sol, la même quantité de travail produit moins de denrées ordinaires, dont la valeur augmentée renchérit l’entretien journalier de l’ouvrier, de sorte qu’il coûte désormais quatre francs au lieu de trois. Le temps nécessaire pour reproduire la valeur quotidienne de la force de travail s’élèvera de six heures à huit, ou absorbera deux tiers de la journée au lieu de la moitié. Le surtravail tombera, par conséquent, de six heures à quatre et la plus-value de trois francs à deux.

Que, dans ces circonstances, la journée soit prolongée à quatorze heures et les deux heures additionnelles annexées au surtravail : comme celui-ci compte de nouveau six heures, la plus-value va remonter à sa grandeur originaire de trois francs, mais sa grandeur proportionnelle a néanmoins diminué, car ayant été à la valeur de la force de travail comme 3 est à 3, elle n’est plus que dans la raison de 3 à 4.

Si la journée est prolongée à seize heures ou le surtravail à huit, la plus-value s’élèvera à quatre francs et sera à la valeur de la force de travail comme quatre est à quatre, c’est-à-dire dans la même raison qu’avant le décroissement survenu dans la productivité du travail, car 4 à 4 = 3 à 3. Néanmoins, bien que sa grandeur proportionnelle soit ainsi simplement rétablie, sa grandeur absolue a augmenté d’un tiers, de trois francs à quatre.

Quand une diminution dans la productivité du travail est accompagnée d’une prolongation de sa durée, la grandeur absolue de la plus-value peut donc rester invariable, tandis que sa grandeur proportionnelle diminue ; sa grandeur proportionnelle peut rester invariable, tandis que sa grandeur absolue augmente, et, si l’on pousse la prolongation assez loin, toutes deux peuvent augmenter à la fois.

Les mêmes résultats s’obtiennent plus vite, si

  1. « Il y a des circonstances compensatrices… que l’opération de la loi des dix heures a mises au jour. » (Reports of Insp. of Fact for 1er déc. 1848, p. 7.)
  2. « On peut estimer approximativement la somme de travail qu’un homme a subie dans le cours de vingt-quatre heures, en examinant les modifications chimiques qui ont eu lieu dans son corps ; le changement de forme dans la matière indique l’exercice antérieur de la force dynamique. » (Grove : On the correlation of physical forces.)