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s’il avait les moyens nécessaires pour subsister dans l’intervalle. Mais dans ce dernier cas, le travailleur serait réellement dans une certaine mesure un capitaliste qui placerait du capital dans l’entreprise en fournissant une portion des fonds nécessaires pour la mener à bonne fin ». M. Mill aurait pu aller plus loin et affirmer que l’ouvrier, qui se fait l’avance non seulement des vivres, mais aussi des moyens de production, ne serait en réalité que son propre salarié. Il aurait pu dire de même que le paysan américain n’est qu’un serf qui fait la corvée pour lui-même, au lieu de la faire pour son propriétaire.

Après nous avoir prouvé si clairement que la production capitaliste, même si elle n’existait pas, existerait toujours, M. Mill est assez conséquent en prouvant, par contre, qu’elle n’existe pas même quand elle existe.

« Et même dans le cas antérieur (quand l’ouvrier est un salarié auquel le capitaliste avance toute sa subsistance), il (l’ouvrier) peut être considéré au même point de vue (c’est‑à‑dire comme capitaliste), car, en livrant son travail au‑dessous du prix de marché (!), il peut être considéré comme s’il prêtait la différence (?) à son entrepreneur, etc.[1] ». En réalité, l’ouvrier avance son travail gratuitement au capitaliste durant une semaine, etc., pour en recevoir le prix de marché à la fin de la semaine, etc., et c’est ce qui, toujours selon M. Mill, le transforme en capitaliste. Sur un terrain plat, de simples buttes font l’effet de collines ; aussi peut‑on mesurer l’aplatissement de la bourgeoisie contemporaine d’après le calibre de ses esprits forts.

  1. J. M. Mill : Principles of Pol. Econ. Lond., 1868, p. 252-53, passim.