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ment note, et il resta là vingt années entières pendant lesquelles ces enfants écrasés physiquement, intellectuellement et moralement purent devenir les pères de la génération actuelle[1]. »

Les conditions sociales ayant changé, on n’osait plus débouter par une simple fin de non‑recevoir les demandes de la Commission d’enquête de 1862 comme on l’avait fait avec celles de la Commission de 1840. Dès 1864, alors que la nouvelle Commission n’avait encore publié que ses premiers rapports, les manufactures d’articles de terre (y inclus les poteries), de tentures, d’allumettes chimiques, de cartouches, de capsules et la coupure de la futaine (fustian cutting) furent soumis à la législation en vigueur pour les fabriques textiles. Dans le discours de la couronne du 5 février 1867, le ministère Tory d’alors annonça des bills puisés dans les propositions ultérieures de la Commission qui avait fini ses travaux en 1866.

Le 15 août 1867, fut promulgué le Factory Acts extension Act, loi pour l’extension des lois de fabrique, et le 21 août, le Workshop Regulation Act, loi pour la régularisation des ateliers, l’une ayant trait à la grande industrie, l’autre à la petite.

La première réglemente les hauts fourneaux, les usines à fer et à cuivre, les ateliers de construction de machines à l’aide de machines, les fabriques de métal, de gutta percha et de papier, les verreries, les manufactures de tabac, les imprimeries (y inclus celles des journaux), les ateliers de relieurs, et enfin tous les établissements industriels sans exception, où cinquante individus ou davantage sont simultanément occupés, au moins pour une période de cent jours dans le cours de l’année.

Pour donner une idée de l’étendue de la sphère que la « Loi sur la régularisation des ateliers » embrassait dans son action, nous en citerons les articles suivants :

Art. 4. « Par métier on entend : Tout travail manuel exercé comme profession ou dans un but de gain et qui concourt à faire un article quelconque ou une partie d’un article, à le modifier, le réparer, l’orner, lui donner le fini (finish), ou à l’adapter de toute autre manière pour la vente. »

« Par atelier (workshop), on entend toute espèce de place, soit couverte, soit en plein air, où un métier quelconque est exercé par un enfant, un adolescent ou une femme, et où la personne par laquelle l’enfant, l’adolescent ou la femme est employé, a le droit d’accès et de direction (the right of access and control). »

« Par être employé, on entend être occupé dans un métier quelconque, moyennant salaire ou non, sous un patron ou sous un parent. »

« Par parent, on entend tout parent, tuteur ou autre personne ayant sous sa garde ou sous sa direction un enfant ou adolescent. »

L’art. 7, contenant les clauses pénales pour contravention à cette loi, soumet à des amendes non seulement le patron, parent ou non, mais encore « le parent ou la personne qui tire un bénéfice direct du travail de l’enfant, de l’adolescent ou de la femme, ou qui l’a sous son contrôle. »

La loi affectant les grands établissements, le Factory Acts extension Act, déroge à la loi de fabrique par une foule d’exceptions vicieuses et de lâches compromis avec les entrepreneurs.

La « loi pour la régularisation des ateliers, » misérable dans tous ses détails, resta lettre morte entre les mains des autorités municipales et locales, chargées de son exécution. Quand, en 1871, le Parlement leur retira ce pouvoir pour le conférer aux inspecteurs de fabrique, au ressort desquels il joignit ainsi d’un seul coup plus de cent mille ateliers et trois cents briqueteries, on prit en même temps soin de n’ajouter que huit subalternes à leur corps administratif déjà beaucoup trop faible[2].

Ce qui nous frappe donc dans la législation anglaise de 1867, c’est d’un côté la nécessité imposée au Parlement des classes dirigeantes d’adopter en principe des mesures si extraordinaires et sur une si large échelle contre les excès de l’exploitation capitaliste, et de l’autre côté l’hésitation, la répugnance et la mauvaise foi avec lesquelles il s’y prêta dans la pratique.

La Commission d’enquête de 1862 proposa aussi une nouvelle réglementation de l’industrie minière, laquelle se distingue des autres industries par ce caractère exceptionnel que les intérêts du propriétaire foncier (landlord) et de l’entrepreneur capitaliste s’y donnent la main. L’antagonisme de ces deux intérêts avait été favorable à la législation de fabrique et, par contre, son absence suffit pour expliquer les lenteurs et les faux-fuyants de la législation sur les mines.

La Commission d’enquête de 1840 avait fait des révélations si terribles, si shocking, et provoquant un tel scandale en Europe que, par acquit de conscience, le Parlement passa le Mining Act (loi sur les mines) de 1842, où il se borna à interdire le travail sous terre, à l’intérieur des mines, aux femmes et aux enfants au‑dessous de dix ans.

Une nouvelle loi, « The Mines Inspecting Act » (loi sur l’inspection des mines) de 1860, prescrit que les mines seront inspectées par des fonctionnaires publics, spécialement nommés à cet effet, et que de dix à douze ans, les jeunes garçons ne pourront être employés qu’à la condition d’être munis d’un certificat d’instruction ou de fréquenter l’école pendant un certain nombre d’heures. Cette loi resta sans effet à cause de l’insuffisance dérisoire du personnel des inspecteurs, des limites étroites de leurs pouvoirs et d’autres circonstances qu’on verra dans la suite.

Un des derniers livres bleus sur les mines : « Report from the select committee on Mines, etc., together with evidence », 13 juillet 1866, est l’œuvre d’un comité parlementaire choisi dans le sein de la

  1. Sensor, l. c. p. 320.
  2. Ce personnel se composait de deux inspecteurs, deux inspecteurs adjoints et quarante et un sous-inspecteurs. Huit sous-inspecteurs additionnels furent nommés en 1871. Tout le budget de cette administration qui embrasse l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande, ne s’élevait en 1871-72 qu’à 25 347 l. st., y inclus les frais légaux causes par des poursuites judiciaires des patrons en contravention.