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pour obtenir le rappel des lois sur les céréales. Les ouvriers refoulés par les soldats se jettent par milliers dans le Yorkshire, et leurs chefs comparaissent devant le tribunal de Lancaster ; 1843, grande misère ; 1844, amélioration ; 1845, grande prospérité ; 1846, le mouvement ascendant continue d’abord, symptômes de réaction à la fin ; abrogation des lois sur les céréales ; 1847, crise ; réduction générale des salaires de dix pour cent et davantage pour fêter le « big loaf ». (Le pain d’une grosseur immense que messieurs les libre‑échangistes avaient promis pendant leur agitation contre les lois céréales.) 1848, gêne persistante ; Manchester protégé par les soldats ; 1849, reprise ; 1850, prospérité ; 1851, baisse de prix des marchandises, salaires réduits, grèves fréquentes ; 1852, commencement d’amélioration, les grèves continuent, les fabricants menacent de faire venir des ouvriers étrangers ; 1853, exportation croissante ; grève de huit mois et grande misère à Preston ; 1854, prospérité ; 1855, encombrement des marchés ; des banqueroutes nombreuses sont annoncées des États‑Unis, du Canada et de l’Asie orientale ; 1856, grande prospérité ; 1857, crise ; 1858, amélioration ; 1859, grande prospérité, augmentation du nombre des fabriques ; 1860, zénith de l’industrie cotonnière anglaise : les marchés de l’Inde, de l’Australie et d’autres contrées sont tellement encombrés que c’est à peine si, en 1863, ils ont absorbé toute cette pacotille ; traité de commerce anglo‑français, énorme développement des fabriques et du machinisme ; 1861, prospérité momentanée ; réaction ; guerre civile américaine, crise cotonnière ; de 1862 à 1863, écroulement complet.

L’histoire de la disette de coton (coton famine) est trop caractéristique pour que nous ne nous y arrêtions pas un instant. La statistique des marchés de 1860 à 1861 montre que la crise cotonnière arriva fort à propos pour les fabricants et leur fut très avantageuse. Le fait a été reconnu dans les rapports de la Chambre de commerce de Manchester, proclamé dans le Parlement par Lord Palmerston et Lord Derby, confirmé enfin par les événements[1]. En 1861, parmi les deux mille huit cent quatre‑vingt‑sept fabriques de coton du Royaume‑Uni, il y en avait assurément beaucoup de petites. D’après le rapport de l’inspecteur A. Redgrave, dont la circonscription administrative comprenait 2109 fabriques, 392 ou 19% de celles-ci employaient une force de moins de dix chevaux-vapeur, 345 ou 16% une force entre dix et vingt chevaux, et 1372 au contraire une force de vingt chevaux et davantage[2]. La plus grande partie des petites fabriques avait été établie pendant la période de prospérité depuis 1858, en général par des spéculateurs dont l’un fournissait les filés, l’autre les machines, un troisième les bâtiments, et elles étaient dirigées par d’anciens contremaîtres ou par d’autres gens sans moyens. Presque tous ces petits patrons furent ruinés. Bien qu’ils formassent un tiers du nombre des fabricants, leurs ateliers n’absorbaient qu’une part comparativement très faible du capital engagé dans l’industrie cotonnière.

En ce qui regarde l’étendue de la crise, il est établi, par des évaluations authentiques, qu’en octobre 1862, 60% des broches, et 58% des métiers ne marchaient plus. Ceci n’a trait qu’à l’ensemble de cette branche d’industrie, et se trouvait naturellement modifié dans les districts pris isolément. Un petit nombre de fabriques seulement travaillaient le temps entier, 60 heures par semaine ; le reste ne fonctionnait que de temps à autre.

Même les quelques ouvriers qui travaillaient tout le temps et pour le salaire aux pièces ordinaire, voyaient leur revenu hebdomadaire se réduire infailliblement par suite du remplacement d’une qualité supérieure de coton par une qualité inférieure, du Sea Island par celui d’Égypte, de ce dernier et de celui d’Amérique par le Surate, et du coton pur par un mélange de Surate et de déchet. La fibre plus courte du Surate, sa nature crasseuse, la plus grande fragilité de ses filés, l’emploi de toute espèce d’ingrédients excessivement lourds à la place de la farine pour l’encollage du fil de la chaîne, etc., diminuaient la rapidité de la machine ou le nombre des métiers qu’un tisseur pouvait surveiller, augmentaient le travail en raison des difficultés mécaniques et réduisaient le salaire en même temps que la masse des produits. La perte des ouvriers causée par l’emploi du Surate, se montait à vingt ou trente pour cent et même davantage, bien qu’ils fussent occupés tout leur temps. Or la plupart des fabricants abaissaient alors aussi le taux du salaire de 5, 7 1/2 et 10 pour 100.

On pourra donc se représenter la situation des ouvriers qui n’étaient occupés que trois, trois et demi, quatre jours par semaine ou six heures par jour. En 1863, alors que l’état des choses s’était déjà relativement amélioré, les salaires hebdomadaires des tisseurs, fileurs, etc., étaient de 3 sh. 4 d., 4 sh. 10 d., 4 sh. 6d., 5 sh. 1 d., etc.[3]. Au milieu de ces circonstances malheureuses, le génie inventeur des fabricants abondait en prétextes pour imaginer des retenues sur ces maigres salaires. C’étaient parfois des amendes que l’ouvrier avait à payer pour les défauts de la marchandise dus à la mauvaise qualité du coton, à l’imperfection des machines, etc. Mais lorsque le fabricant était propriétaire des cottages des ouvriers, il commençait par se payer le prix du loyer sur le salaire nominal. L’inspecteur Redgrave parle de self‑acting minders (ouvriers qui surveillent une paire de mules automatiques), lesquels gagnaient 8 sh. 11 d. après quinze jours pleins de travail. Sur cette somme était d’abord déduit le loyer, dont le fabricant rendait cependant la moitié à titre de don gratuit, de sorte que les ouvriers rentraient chez eux avec 6 sh. 11 d. pour tout potage. Le salaire hebdomadaire des tisseurs n’était souvent que de 2 sh. 6 d. pendant les derniers mois de 1862[4]. Alors même que les bras ne travaillaient que peu de temps, le loyer n’en était pas moins fort souvent retenu sur le salaire[5]. Rien d’étonnant si, dans quelques parties du Lancashire, une sorte de peste de famine venait à se dé-

  1. Voy. « Reports of insp. of Fact. for 31 st. oct. 1862, pag. 30. »
  2. L. c., p. 19
  3. Voy. Reports of insp. of Fact. for 31st. oct. 1862, page. 41, 51.
  4. « Rep., etc., for 31 oct. 1862, » p. 41, 42.
  5. L. c., p. 57.