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Le résultat général des perfectionnements mécaniques amenés dans les fabriques anglaises de coton par la guerre civile américaine, est résumé dans la table suivante :

Statistique des fabriques de coton du Royaume-Uni en 1858, 1861 et 1868.


NOMBRE DES FABRIQUES
1858 1861 1868
Angleterre et pays de Galles 2,046 2,715 2,405
Écosse 152 163 131
Irlande 12 9 13
Royaume-Uni 2,210 2,887 2,549
NOMBRE DES MÉTIERS À TISSER À VAPEUR
Angleterre et pays de Galles 275,590 368,125 344,719
Écosse 21,624 30,110 31,864
Irlande 1,633 1,757 2,746
Royaume-Uni 298,847 399,992 379,329
NOMBRE DES BROCHES À FILER
Angleterre et pays de Galles 25,818,576 28,352,152 30,478,228
Écosse 2,041,129 1,915,398 1,397,546
Irlande 150,512,3 119,944 124,240
Royaume-Uni 28,010,217 30,387,467 32,000,014
NOMBRE DE PERSONNES EMPLOYÉES
Angleterre et pays de Galles 341,170 407,598 357,052
Écosse 34,698 41,237 39,809
Irlande 3,345 2,734 4,203
Royaume-Uni 379,213 451,569 401,064


En 1861-1868 disparurent donc trois cent trente-huit fabriques de coton, c’est-à-dire qu’un machinisme plus productif et plus large se concentra dans les mains d’un nombre réduit de capitalistes ; les métiers à tisser mécaniques décrûrent de 20, 663, et comme en même temps leur produit alla augmentant, il est clair qu’un métier amélioré suffit pour faire la besogne de plus d’un vieux métier à vapeur ; enfin, les broches augmentèrent de 1, 612, 541, tandis que le nombre d’ouvriers employés diminua de 50, 505. Les misères « temporaires » dont la crise cotonnière accabla les ouvriers, furent ainsi rendues plus intenses et consolidées par le progrès rapide et continu du système mécanique.

Et la machine n’agit pas seulement comme un concurrent dont la force supérieure est toujours sur le point de rendre le salarié superflu.

C’est comme puissance ennemie de l’ouvrier que le capital l’emploie, et il le proclame hautement. Elle devient l’arme de guerre la plus irrésistible pour réprimer les grèves, ces révoltes périodiques du travail contre l’autocratie du capital[1]. D’après Gaskell, la machine à vapeur fut dès le début un antagoniste de la « force de l’homme » et permit au capitaliste d’écraser les prétentions croissantes des ouvriers qui menaçaient d’une crise le système de fabrique à peine naissant[2]. On pourrait écrire toute une histoire au sujet des inventions faites depuis 1830 pour défendre le capital contre les émeutes ouvrières.

Dans son interrogatoire devant la commission chargée de l’enquête sur les Trades Unions, M. Nasmyth, l’inventeur du marteau à vapeur, énumère les perfectionnements du machinisme auxquels il a eu recours par suite de la longue grève des mécaniciens en 1851.

« Le trait caractéristique, dit-il, de nos perfectionnements mécaniques modernes, c’est l’introduction d’outils automatiques Tout ce qu’un ouvrier mécanicien doit faire, et que chaque garçon peut faire, ce n’est pas travailler, mais surveiller le beau fonctionnement de la machine. Toute cette classe d’hommes dépendant exclusivement de leur dextérité a été écartée. J’employais quatre garçons sur un mécanicien. Grâce à ces nouvelles combinaisons mécaniques, j’ai réduit le nombre des hommes adultes de 1500 à 750. Le résultat fut un grand accroissement dans mon profit[3]. »

Enfin, s’écrie Ure, à propos d’une machine pour l’impression des indiennes, « enfin les capitalistes cherchèrent à s’affranchir de cet esclavage insupportable (c’est-à-dire des conditions gênantes du contrat de travail), en s’aidant des ressources de la science, et ils furent réintégrés dans leurs droits légitimes, ceux de la tête sur les autres parties du corps. Dans tous les grands établissements, aujourd’hui, il y a des machines à quatre et a cinq couleurs, qui rendent l’impression en calicot un procédé, expéditif et infaillible ».

Il dit d’une machine pour parer la chaîne des tissus, qu’une grève avait fait inventer :

« La horde des mécontents, qui se croyaient retranchés d’une manière invincible derrière les anciennes lignes de la division du travail, s’est vue prise en flanc, et ses moyens de défense ayant été annulés par la tactique moderne des machinistes, elle a été forcée de se rendre à discrétion. »

Il dit encore à propos de la mule automatique qui marque une nouvelle époque dans le système mécanique : « Cette création, l’homme de fer, comme l’appellent avec raison les ouvriers, était destinée à rétablir l’ordre parmi les classes industrielles. La nouvelle de la naissance de cet Hercule-fileur répandit la consternation parmi les sociétés de résistance ; et longtemps avant d’être sorti de son berceau, il avait déjà étouffé l’hydre de la sédition… Cette invention vient à l’appui de la doctrine déjà développée par nous ; c’est que lorsque le capital enrôle la science, la main rebelle du travail apprend toujours à être docile[4]. »

Bien que le livre de Ure date de trente-sept ans, c’est-à-dire d’une époque où le système de fabrique n’était encore que faiblement développé, il n’en

    au point de vue théorique que le seul remède était de travailler peu de temps, quatre jours par semaine. Après plus ou moins d’hésitations les capitaines d’industrie durent accepter ces conditions, ici avec, là sans réduction des salaires de 5%.

  1. « Les rapports entre maîtres et ouvriers dans les opérations du soufflage du flintglass et du verre de bouteille, sont caractérisés par une grève chronique. » De là l’essor de la manufacture de verre pressé dans laquelle les opérations principales sont exécutées mécaniquement. Une raison sociale de Newcastle qui produisait annuellement 350, 000 livres de flintglass soufflé, produit maintenant à leur place 3, 000, 500 livres de verre pressé. Ch. Empl. Comm. IV Report. 1865, p. 262, 263.
  2. Gaskell : The Manufacturing population of England. Lond., 1833, p. 3, 4
  3. Par suite de grèves dans son atelier de construction M. Fairbairn a été amené à faire d’importantes applications mécaniques pour la construction des machines.
  4. Ure, l. c., t. 11, p. 141, 142, 140.