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le xviii brumaire de louis bonaparte
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dominante, quel que fût d’ailleurs son désir de se constituer en autorité indépendante.

Ce n’est que sous le second des Bonapartes que l’État semble avoir acquis l’indépendance complète. Le mécanisme de l’État s’est si bien consolidé vis-à-vis de la société civile que, pour le conduire, il suffit du chef de la société du 10 décembre, un chevalier de fortune venu de l’étranger, élevé sur le pavois par une soldatesque ivre, qu’il achète avec de l’eau-de-vie et des saucissons, à laquelle il ne peut cesser de lancer sans cesse de nouveaux saucissons. De là vient le misérable découragement, le sentiment de l’humiliation, de l’abaissement le plus épouvantable qui oppresse la France et la laisse haletante. Elle se sent comme déshonorée.

Ce gouvernement cependant ne plane pas dans les airs. Bonaparte représente une classe et même la classe la plus nombreuse de la société bourgeoise, les paysans parcellaires.

Les Bourbons avaient été la dynastie de la grande propriété foncière, les d’Orléans la dynastie de l’argent : les Bonapartes sont la dynastie des paysans, c’est-à-dire de la masse de la nation française. L’Élu des paysans n’est pas le Bonaparte qui se soumettait au Parlement bourgeois, c’est celui qui le chassa. Pendant trois ans, les villes avaient réussi à fausser le sens de l’élection du 10 décembre et à tromper les paysans sur le rétablissement de l’Empire. L’élection du 10 décembre