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Épicure était d’ailleurs pour ainsi dire condamné à ne pas réussir une philosophie totale, de par sa situation historique. Dans les périodes où la philosophie est devenue abstraite et s’oppose au monde, les philosophes sont nécessairement engagés dans le mouvement pratique critique et doivent mettre l’accent sur la volonté subjective transformatrice du monde. C’est ainsi que Marx peut écrire : « La chance dans un tel malheur est donc la forme subjective, la modalité dans laquelle la philosophie comme conscience subjective se rapporte à la réalité effective[1]. ».

Il est des philosophies qui ne se laissent lire que comme mots d’ordre dans une situation d’urgence.

« Il n’y a rien à craindre des dieux
Il n’y a rien à craindre de la mort
On peut atteindre le bonheur
On peut supporter la douleur. »


    Quand donc Nizan, dans un ouvrage où il cite le texte de Marx, (les Matérialistes de l’Antiquité, éd. Maspero) félicite Épicure pour avoir fondé une théorie du monde sans principe transcendant et avoir « pressenti, parce qu’il le fallait, la représentation moderne du monde, rejetant ainsi parmi les « fables des origines » la physique mythique du Timée », il faut reconnaître que la beauté du texte cache un malentendu. Le jeune Marx dirait en effet que le problème que posait le Timée n’est pas résolu, mais gommé par Épicure, qui se jetait ainsi dans un isolement théorique correspondant à celui de son sage. Un tel refus aurait une valeur éthique et non théorique.

    Dans le même texte, Nizan pressent d’ailleurs la limite de cette interprétation purement matérialiste d’Épicure : « Certes, ce matérialisme a des limites… Il laisse subsister une fissure par où l’idéalisme peut passer. L’idéalisme passe en effet chez Lucrèce, au moment même où le philosophe ajoute aux mouvements mécaniques un mouvement autonome et contingent des atomes, analogue au libre arbitre et destiné à l’expliquer. » (Op. cit., p. 46.) Mais ce que le texte de Marx cherche à nous montrer, c’est que cette fissure est en réalité le principe unique de tout l’épicurisme, celui qui rend possible à la fois sa cosmogenèse et l’ataraxie du Sage.

    dans les remarques à la Dissertation et où on peut lire : « Les preuves de l’existence de Dieu… ne sont que des tautologies vides — par exemple, la preuve ontologique revient à ceci : « Ce que je me représente réellement est pour moi une représentation réelle. » Cf. Cornu, op. cit., p. 204.

  1. Travaux préparatoires : « Points nodaux dans le développement de la philosophie. »