Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— écrite en 1845-1846 — Marx s’élève contre Max Stirner, selon qui Épicure veut tromper le monde qu’il considère comme son ennemi : « Jusqu’ici, on savait seulement que les épicuriens s’étaient exprimés dans le sens que voici : il faut détromper le monde, c’est-à-dire le délivrer de la crainte des dieux, car il est mon ami[1]. » Comment la conscience de soi qui s’oppose au monde peut-elle le considérer comme son ami ? Il faut déterminer précisément de quel monde il s’agit dans chaque cas, car ce terme est ambigu. Épicure souligne lui-même qu’il ne s’occupe pas du monde, mais de l’ataraxie de la conscience individuelle[2]. Pourtant, ce qui permet, au niveau du monde sensible, le libre-arbitre de l’homme, c’est la construction du monde atomistique qui est à l’image de ce libre-arbitre. Le monde auquel s’oppose la conscience de soi, dont elle dévie à l’instar de l’atome, est le monde concret devenu irrationnel, le monde comme autre de la conscience, qui trouve son symbole dans la nécessité inflexible de la ligne droite, image du monde historico-politique réel qui voyait la Grèce asservie. Un tel monde est précisément le monde matérialiste de la possibilité matérielle, le monde positif que développe la philosophie de Démocrite. Épicure est l’ami du monde qui se donne à la représentation subjective[3]. Ce monde familier et soumis est offert à l’expérience quotidienne du philosophe cantonné dans son jardinet. Il est alors aisé de transposer cet univers perceptif restreint en une physique dogmatique, selon le mouvement de la possibilité abstraite infinie. Une fois le monde physique soumis à un monde d’atomes représenté, le monde concret subsiste alors dans le monde céleste indépendant qu’Épicure s’emploie à réduire et même à détruire dans son aspect ordonné et

  1. . Editions sociales, p. 164.
  2. . Travaux préparatoires, fragment intitulé, la Philosophie épicurienne des météores. « Comment (Épicure) dit presque carrément que, ne touchant pas à la nature, il ne se soucie que de la liberté de la conscience, on peut déjà le déduire de la monotone répétition qui le caractérise. »
  3. . La phrase de l’Idéologie allemande semble identifier ces deux mondes et marquer un changement d’attitude de Marx. (Cf. infra.)