Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tion de la chose en l’aliénant de son concept. Cet atome complet est la forme absolue de la nature. Mais il faut ensuite passer de ce monde des atomes au monde des phénomènes, et ce passage est éminemment contradictoire.

Le concept de l’atome est la conscience de soi abstraite-singulière projetée. Il est donc, comme forme idéelle, la négation de la matière. Cette opposition exclut qu’il y ait un passage progressif possible de la forme conceptuelle de l’atome à son existence comme base matérielle. « Si l’atome est conçu selon son concept, c’est le vide, la nature anéantie qui est son existence. » L’atome est la mort de la nature, de même que la philosophie épicurienne ouvre l’ère de la destruction effective de la nature matérielle[1]. Marx décèle une contradiction dans la méthode analogique qui passe insensiblement, par degrés, « paulatim », du monde sensible à la nature véritable de l’atome[2]. « La singularité abstraite est la liberté à l’égard de l’être-là, non pas la liberté dans l’être-là. » Entre la singularité et le monde, il y a une contradiction. L’expression de cette contradiction est la distinction[3] entre l’atome στοιχεῖον (qualifié, complet et aliéné de son concept) qui devient la base des phénomènes, et l’atome comme ἀρχή qui exprime le pur concept de l’atome et qui s’oppose au phénomène. L’atome complet et qualifié permet seul le passage au monde phénoménal, mais la véritable nature est celle de l’atome conceptuel. Le monde phénoménal est donc le lieu où ressort la plus grande contradiction de l’atome.

Les atomes forment le monde de l’être par opposition à la nature phénoménale. Mais cette dernière possède également l’être puisque le monde sensible est un phénomène objectif. L’être est donc ce qui réunit les deux mondes et permet de passer de l’un à l’autre par analogie. Mais le

  1. . Travaux préparatoires, fragment intitulé : Gassendi et Epicure.
  2. . Peut-on faire une lecture « contradictoire » de la pensée épicurienne qui procède toujours par degrés, par analogie ? Sur cette difficulté, cf. Gilles Deleuze, Lucrèce et le simulacre, in Logique du sens, éditions de Minuit.
  3. . Dissertation, deuxième partie, chapitre III.