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aux conflits de la moralité. Mais l’attitude religieuse comporte un second moment contradictoire : le Dieu religieux possède une volonté, s’occupe des hommes qui ressentent douloureusement les effets de cette volonté. Ce sont donc bien aussi les actes humains qui sont hypostasiés en Dieu, ou plutôt la « crainte de l’avenir » et du « châtiment », l’ensemble « de toutes les conséquences que peuvent comporter de mauvaises actions empiriques[1] ». La partie la plus négative de l’homme, sa mauvaise conscience et sa crainte, est sanctifiée du fait qu’elle se trouve renversée en Dieu, si bien qu’il reste à ce Dieu l’action et la volonté doublées d’une justice et d’une innocence absolues. L’opposition devient celle d’un Dieu juste, juge et bourreau et d’un homme faible, injuste, accusé et victime ; d’où l’état de crainte perpétuelle qui caractérise la conscience religieuse. La représentation religieuse forge la fiction d’un superhomme doué de volonté et seul à posséder l’innocence ; elle condamne les hommes à la culpabilité[2].

L’homme religieux serait incapable de supporter son existence condamnée si la négation de la conscience de soi en Dieu ne se niait elle-même à l’occasion de la fête religieuse[3]. La divinité adresse sa bienveillance et sa miséricorde… à la conscience de soi qu’elle avait commencé par nier ; elle se réjouit au spectacle de la joie de l’individu. Mais cette « négation de la négation » qui s’accomplit dans la fête n’est en aucun cas une suppression dialectique : l’inversion fantastique de la religion s’atténue dans la fête sans s’anéantir totalement. Il faut à la conscience religieuse deux négations rigides et sans progrès dialectique pour produire le fantôme de l’affirmation de la conscience de soi. La

  1. . Travaux préparatoires, fragment intitulé : la Crainte et l’Etre transcendant.
  2. . Travaux préparatoires, fragment intitulé : le Culte et l’individu. L’innocence grecque est donc dévoyée, chez Plutarque, par la conception morale du Dieu juge et bourreau. La projection religieuse identifie innocence et moralité (bonne volonté) rejetant l’homme hors de l’innocence afin de la lui promettre au terme d’une conduite morale.
  3. . Travaux préparatoires, fragment intitulé : le Culte et l’individu.