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tation de la raison par la presse libre. Concrètement, les Jeunes hégéliens réclament du gouvernement une politique libérale et hostile à l’obscurantisme religieux. Dans leur esprit, ce qui empêche le changement du monde, c’est l’occultation de la rationalité. Il s’agit donc de dénoncer et d’aiguiser le divorce empirique-réel, de faire de la raison une force de négativité à l’égard du donné.

On voit déjà la limite essentielle de tout ce mouvement critique : il admet profondément l’analyse hégélienne de l’État, il fait de l’État la vérité de la société civile. Aucun changement effectif ne saurait donc se produire sans passer d’abord par l’État. Derrière toute activité critique se cache la foi en la possibilité d’une conversion du mauvais vouloir des gouvernants en bon vouloir si tant est que la raison soit universelle et communicable. C’est ainsi le fait que la vérité politique ne se situe qu’au plan de l’État qui, en idéalisant les rapports entre société civile et État, permet à une action intellectuelle comme la critique d’être du même coup politiquement effective[1].

Nous avons vu que la critique reposait au départ sur une adhésion totale au système hégélien, auquel elle se bornait

  1. . La véritable critique de l’activité critique devra donc passer par une critique profonde de la philosophie de l’État de Hegel. Marx travaille sur ce texte dès 1841. Sa Critique de la philosophie de l’État de Hegel fut rédigée en 1841-1842. [La date de cet écrit n’est pas absolument fixée : si F. Chatelet indique 1841-1842, E. Bottigelli donne plutôt 1843. Préface aux Manuscrits de 1844, Editions Sociales, p. XXVII.] Elle se situe sur le seul plan de la Constitution et de l’État interne, montrant que le sujet réel (l’homme empirique, l’individu, la société civile et la famille) trouve chez Hegel sa vérité en dehors de lui-même, dans l’État, qui n’est que le prédicat de ce sujet. Cette critique, inspirée par Feuerbach, sera approfondie par l’Introduction à la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, publiée en 1844. Se dégageant quelque peu de Feuerbach, Marx y pourra analyser la signification économique de la toute-puissance administrative, montrant que la société civile (sphère des intérêts économiques) détermine l’État (sphère politique) et qu’en conséquence l’État n’est que l’expression d’intérêts économiques particuliers.
    On voit que le rapport de Marx à la Critique autant que sa réflexion politique est étroitement lié à l’itinéraire philosophique qui le voit atteindre et dépasser Feuerbach, sans jamais cesser de se définir par rapport à Hegel.