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tel est le mouvement de l’ensemble de la philosophie hégélienne. On peut concevoir un résidu empirique, mais non pas le mouvement de détérioration qui verrait ce résidu étendre sa marche anarchique jusqu’à menacer l’équilibre qui le maintient enchaîné au concept. Si le décalage devient divorce, le concept retombe dans l’irréalité et le concret est mesuré à un devoir-être idéal. Le concret n’est plus l’effectivement réel et redevient la simple illusion qui masque l’être, comme dans la plupart des philosophies que précisément Hegel a combattues.

C’est bien ce qui semble se produire. « La réussite de la philosophie doit… esquisser les conditions ou les possibilités de la satisfaction. Or il se trouve, il s’agit là d’un fait historique, d’un « événement » aussi important pour le destin de la volonté philosophique que la condamnation de Socrate ou l’échec sicilien de Platon, que l’évolution des États modernes, essentiellement, pour cette période, de la Prusse, de l’Angleterre et de la France, ne confirme nullement la description philosophique[1]. » « En fait, rien n’annonce dans l’histoire du XIXe siècle le passage des États existants à une forme d’organisation qui convienne mieux à la raison[2]. » Le système hégélien produit lui-même ce qu’en apparence il exclut absolument : le démenti historique, l’existence irrationnelle qui revient maîtriser l’essence, la blessure rouverte du réel d’où surgit la conscience de soi abstraite renaissant de ses cendres. À peine terminée, l’histoire se moque du philosophe, elle inaugure sa résurrection dans une différence joyeuse.

  1. . Ibidem, p. 92.
  2. . C’est bien plutôt le contraire qui se produit : en 1840, Frédéric-Guillaume IV refuse l’octroi d’une constitution libérale et oriente ensuite définitivement sa politique dans une voie ouvertement cléricale et réactionnaire. L’État prussien devait alors régresser par rapport à celui qu’avait analysé Hegel. (Cornu, op. cit. I, pp. 166 et 167.)