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décalage subsiste entre les deux niveaux, un résidu irrationnel dont on ne peut faire totalement abstraction. Au moment où Hegel écrit, la constitution de l’État prussien ne correspond pas exactement à son concept, et le philosophe se charge d’écrire lui-même une constitution. Mais ce qu’affirme Hegel, c’est que rien ne saurait advenir qui bouleverse le degré atteint par le développement du concept, ni l’expression objective de ce degré. C’est en ce sens que le philosophe est satisfait par l’État moderne, quand bien même la majorité des hommes de son temps ne le serait pas. La raison est désormais consciente de son but qui est l’affirmation de la liberté. « Au niveau de la raison objective, la satisfaction est donnée à l’homme… la véritable liberté humaine trouve son effectuation dans la mesure où l’individu peut raisonnablement vouloir son intérêt et, en même temps, ce qui est universellement bon et raisonnable[1]. » Sans doute, la subjectivité peut confiner d’opposer à cette perspective ses protestations et ses moqueries : « Mais ce qui compte pour le philosophe, c’est le fait que, s’il arrive à la subjectivité — avide de manifester sa liberté abstraite — de prétendre contester l’ordre raisonnable, il est loisible désormais de démontrer qu’en agissant ainsi, elle se montre insensée et criminelle[2]. »

  1. . Chatelet (François) : Logos et Praxis. S.E.D.E.S., pp. 89-90.
  2. . Hegel distingue trois moments dans la morale concrète et objective : la Famille, qui représente l’état immédiat de cette morale, la Société bourgeoise qui est l’état de la nécessité et de l’entendement et qui correspond au moment de la vie privée dans lequel l’État n’apparaît encore que comme un moyen au service des individus pris dans leur isolement, l’État enfin à proprement parler qui représente l’unité organique de la vie politique. Le troisième moment, l’État, apparaît à la fois comme l’idée qui commande en principe le développement des autres moments et comme le résultat de ce développement (d’après J. Hyppolite : Études sur Marx et Hegel, Rivière, p. 123). Ce n’est que dans l’État que les individus sont conscients d’eux-mêmes comme de la volonté générale (ibidem, p. 124). Or, l’idée consciente d’elle-même doit se poser pour soi comme une réalité particulière dans la constitution et le souverain. La constitution est donc l’expression concrète de l’idée objective, de l’État. L’État moderne, contrairement à la Cité antique, « est assez puissant pour laisser le principe de la subjectivité s’accomplir jusqu’à l’extrémité de la particularité personnelle autonome et en même temps le ramener à l’unité substantielle, et ainsi maintenir cette unité dans ce principe lui-même ».