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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

nous invoquons sont souvent, de très bonne foi, dans l’erreur. Nourris des mêmes études, écrivant dans les mêmes circonstances, sous l’empire des mêmes idées, les auteurs d’alors emploient souvent, presque simultanément, des expressions qu’ils croient avoir inventées. Il est impossible de contester à Ronsard la paternité du mot Ode, qu’il a tenu, nous l’avons vu, à établir fort nettement ; mais c’est là une exception, et la plupart du temps on ne peut alléguer que des probabilités, dont un examen approfondi vient souvent démontrer le peu de fondement.

L’auteur du Quintil Horatian[1] reproche à Du Bellay l’emploi du mot Patrie… qui, dit-il, « est obliquement entré et venu en France nouuellement. » On en avait conclu un peu trop vite que Du Bellay en était l’auteur, et on lui avait fait honneur de cette belle expression, mais elle a été trouvée un siècle plus tôt[2].

Ayant lu dans l’épître de « Henri Estiene a vn sien ami » placée en tête de l’Apologie pour Hérodote : « l’analogie (si les oreilles Françoises peuuent porter ce mot) », j’avais envoyé le passage à M. Littré, qui s’exprime ainsi à ce sujet dans la Préface de son Supplément (p. 11) : « C’est H. Estienne qui a introduit dans notre langue le mot analogie ; et en l’introduisant il s’excusa d’offenser l’oreille si gravement. » Cette excuse avait paru au savant lexicographe, comme à moi, une marque à peu prés certaine du premier emploi de cette expression. Nous nous étions trompés tous deux, car elle figure en 1549, dix-sept ans avant la publication de l’Apologie, dans un passage de La Deffence de la langue françoyse, que j’ai déjà eu occasion de citer (I, 45) : « Ne crains donques, Poëte futur,

  1. Voyez Du Bellay, I, 477, note 3.
  2. Voyez Littré, Dictionnaire, Patrie.