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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

d’autant que nostre langue ne pouuoit exprimer ma conception, i’ay esté forcé d’en vser qui signifient vne vie de petite durée. Filosofie et mathematique ont esté aussy estranges au commencement ; mais î’vsage les a par traict de temps adoulcis et rendus nostres. »

Quant au latin, il s’introduisait pour ainsi dire de lui-même dans le français. On en était imprégné. Ceux qui en blâmaient le plus l’abus ne laissaient pas de s’en permettre très largement l’usage : Rabelais, dont la verve s’est si vivement égayée contre l’écolier limousin, latinise autant qu’aucun écrivain de son temps. Du Bellay, faisant l’éloge de l’Éloquence, dit (I, 13) qu’elle « gist aux motz propres, vsitez, et non aliénes du commun vsaige de parler ». À quoi l’auteur du Quintil Horatian répond fort à propos : « En cet endroict mesme contreuenant à ton enseignement, tu dis alienes pour estranges ; escorchant là et partout ce pauure Latin sans aucune pitié. » Le plus piquant est que, comme Egger le remarque avec raison (L’Hellénisme en France, I, 255), le critique est loin d’être exempt pour sa part du travers qu’il vient d’attaquer.

Maintenant au milieu de l’éclosion, pour ainsi dire spontanée, de tant de termes tirés du grec et du latin, qu’elle est exactement la part de chaque écrivain ? C’est ce qu’il serait bien difficile d’établir avec certitude.

Il est fort rare que nous possédions à ce sujet des témoignages précis ; on ne peut guère avoir recours qu’aux indications vagues que donnent les poètes dans leurs préfaces, les commentateurs contemporains dans leurs notes, les adversaires dans leurs critiques ; la manière dont un mot est présenté, les précautions qu’on prend pour le faire accepter du public, semblent parfois un indice de sa nouveauté ; mais, sans négliger de semblables présomptions, il faut se garder d’en exagérer la valeur, d’autant plus que les témoins que