Page:Marty-Laveaux - Études de langue française, 1901.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

œuures de tant de doctes Poëtes de ce temps, qui decorent si richement leurs vers des ornemens de l’antiquité, que malaisément y pourront les ignorans et grossiers rien comprendre. »

Pasithée, qui n’est pas tout à fait convaincue, fait quelques objections : « Que respondrez vous à ce qu’ils dient, que si par estranges façons de parler vous taschez d’obscurcir et enseuelir dans voz vers voz conceptions tellement, que les simples et les vulgaires, qui sont (iurent-ils) hommes de ce monde comme vous, n’y peuuent recognoistre leur langue, pource qu’elle est masquée et desguisée de certains accoustremens estrangers, vous eussiez encor mieux fait, pour atteindre à ce but de non estre entendus, de rien n’escrire du tout ? »

Cette réflexion, qui ne manque pas de justesse, n’arrête pas un moment Pontus de Tyard : « Ie leur respondray, réplique-t-il, que l’intention du bon Poëte n’est de non estre entendu, ny aussi de se baisser et accommoder à la vilté du vulgaire. »

Les courtisans françois, dit Du Perron dans son Oraison funèbre de Ronsard (p. 1672), rejetoient « la nouueauté des mots lesquels il se voyoit contraint d’inuenter, pour tirer nostre langue de la pauureté et de la necessité ». Nous avons raconté (I, xxx–xxxv) sa querelle avec Mellin de Saint Gelais, l’intervention de la duchesse de Savoie et la réconciliation qui en résulta. Le Discours contre Fortune, adressé à Odet (V, 148), pourrait faire supposer, si on le prenait à la lettre, que tant de critiques n’émurent point Ronsard et ne le firent point changer de voie :


Premier les fis parler (les Muses) le langage François,
Tout hardy m’opposant à la tourbe ignorante.
Tant plus elle crioit, plus elle estoit ardante
De deschirer mon nom, et plus me diffamoit.
Plus d’un courage ardent ma vertu s’allumoit
Contre ce populaire, en desrobant les choses
Qui sont ès liures Grecs antiquement encloses.