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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

le miel de mes uers, les ailes de mes uers, lare de ma muse, mes uers sucrés, un irait ailé, empaner la memoire, l’honneur altéré des cieus. »

Ronsard avait déclaré, dès son avis Au Lecteur (II, 475), qu’il prenait « stile apart, sens apart, euure apart », il le répète beaucoup plus vivement dans une ode où il apostrophe ainsi sa muse (VI, 114) :

Ne suy ny le sens, ny la rime,
Ny l’art du moderne ignorant,
Bien que le vulgaire l’estime
Et en béant l’aille adorant.

Le premier livre des Amours, consacré à Cassandre, n’abonde pas moins en nouveautés que les Odes. Ronsard nous le dit lui-même (V, 425) :

À vingt ans ie fu pris d’vne belle maistresse.
Et voulant par escrit tesmoigner ma destresse,
Ie vy que des François le langage trop bas
À terre se trainoit sans ordre ny compas :
Adonques pour hausser ma langue maternelle,
Indonté du labeur, ie trauaillay pour elle,
Ie fis des mots nouueaux, ie r’appellay les vieux.
Si bien que son renom ie poussay iusqu’aux Cieux.
Ie fis d’autre façon que n’auoyent les antiques
Vocables composez et phrases poëtiques,
Et mis la Poësie en tel ordre qu’après
Le François fut égal aux Romains et aux Grecs.

Ne pouvant nier les obscurités résultant d’un pareil système, les poètes de la Pléiade prenaient le parti de s’en glorifier.

Dans un ouvrage publié en 1552, l’année même où parurent les Amours, Pontus de Tyard, après s’être étendu assez longuement sur les diverses attributions des Muses, dit à sa Pasithée[1] : « Ne vous ennuirois de ce discours, si ie ne sçauois que le souuenir de telles choses vous seruira de quelque lumière à la lecture des

  1. Solitaire premier. Voyez p. 217 de notre édition de Tyard.