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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

(I, 44). En voici le passage principal : « Ie veux bien auertir celuy qui entreprendra un grand œuure, qu’il ne craigne point d’inuenter, adopter, et composer à l’immitation des Grecz, quelques mots Francoys, comme Ciceron se vante d’auoir fait en sa Langue… Vouloir oter la liberté à vn scauant Homme, qui voudra enrichir sa Langue d’vsurper quelquefois des Vocables non vulgaires, ce seroit retraindre notre Langaige, non encor’ assez riche soubz vne trop plus rigoreuse Loy, que celle que les Grecz et Romains se sont donnée. Les quelz combien qu’ils feussent sans comparaison, plus que nous copieux et riches, neantmoins ont concédé aux Doctes Hommes vser souuent de motz non acoutumés ès choses non acoutumées. Ne crains donques, Poëte futur, d’innouer quelques termes en vn long Poëme principalement, auecques modestie toutesfois, Analogie, et Iugement de l’Oreille, et ne te soucie qui le treuue bon ou mauuais : esperant que la Posterité l’approuuera. »

La nouvelle école poétique, si arrogante pour ses prédécesseurs, devait compter de leur part sur de cruelles représailles ; elles ne se firent pas attendre. L’étrangeté du nouveau vocabulaire fut vivement blâmée. Le retour fréquent des mêmes épithètes, des mêmes hémistiches, à l’imitation des anciens, prêtait fort aussi à la raillerie des poètes de cour, qui faisaient consister l’élégance à éviter les répétitions de ce genre. Ronsard, qui le sentait, va au-devant de leurs objections (II, 481) : « Tu ne seras emerueuillé si ie redi souuent mêmes mots, mêmes sentences, et même trais de uers, en cela imitateur des poètes Grecs, et principalement d’Homere, qui iamais, ou bien peu ne change un bon mot, ou quelque trac de bons uers, quand une fois il se l’est fait familier, le parle à ceus qui miserablement épient le moien pour blasonner les écris d’autrui, courroussés peut-estre, pour m’ouir souuent redire,