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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

vit vne troupe de poëtes s’élancer de l’École de lean Dorat comme du cheual Troyen. »

Le manifeste de Du Bellay ne lui appartient pas en propre. « Joachim parla pour un autre, » dit Michelet[1], faisant allusion à l’évidente collaboration de Ronsard, qui peut-être n’a pas été la seule, car cet opuscule, assez incohérent, semble le résumé des discussions fiévreuses d’un groupe de jeunes gens, avides de se précipiter à corps perdu dans une mêlée qu’ils considéraient d’avance comme une victoire.

Il ne s’agissait point d’introduire chez nous des idées réellement nouvelles, mais de transporter dans « notre vulgaire », c’est-à-dire dans notre langue maternelle, celles de l’Antiquité, de s’en emparer, de les conquérir de vive force. « Françoys, s’écrie Du Bellay (I, 62), marchez couraigeusement vers cette superbe Cité Romaine : et des serues Depouilles d’elle (comme vous auez fait plus d’vne fois) ornez vos Temples et Autelz… Donnez en cete Grece Menteresse… Pillez moy sans conscience les sacrez Thesors de ce Temple Delphique… »

Il y a tant de hardiesse dans ce langage, tant de confiance juvénile dans ces ambitieuses promesses, que le retentissement s’en est prolongé jusqu’à nous ; de tous les écrits de la Pléïade, La Deffence est demeuré le mieux connu et surtout le plus fréquemment cité. Nos meilleurs critiques l’ont considéré comme le manifeste inattendu d’une révolution littéraire éclatant tout à coup, comme un cri de défi que rien n’avait fait pressentir.

C’est une erreur que nous allons tâcher d’éviter, en examinant dans quelles circonstances l’ouvrage s’est produit, à quels écrits il répond, et quelles répliques il a suscitées.

Sous François Ier la poésie française, sorte de dis-

  1. Histoire, xvie siècle, c.  8, t.  IX, p.  100. Édit. de 1874.