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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

gruel[1], ce travers nous est plaisamment signalé par Rabelais, qui, lui-même, ne s’en est pas toujours montré exempt.

Ce courant d’imitation n’est pas le seul auquel ait cédé cette époque. On vit succéder aux guerres d’Italie l’emploi abusif d’une telle quantité de termes empruntés à ce pays qu’Henri Estienne crut devoir critiquer cet engoûment dans ses Deux dialogues du nouveau langage françois, italianizé, et autrement desguizé, bien propres à nous garantir, si nous avions pu l’être, contre les entraînements de la mode.

Au xviie siècle, à partir de 1615, date du mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, commencent les influences espagnoles, à qui notre littérature doit le Cid. C’est à ce moment que la langue jouissant encore de toutes les franchises du xvie siècle, mais plus sage et mieux pondérée, atteint son point de perfection.

Il faut toutefois savoir se garantir contre un enthousiasme irréfléchi, et prendre soin d’examiner de près tous les styles divers, et de valeur fort inégale, qui ont cours pendant cette belle époque.

Nos orateurs religieux et nos poètes tragiques, qui s’expriment d’un ton si noble, et savent se montrer si profondément créateurs en imitant les livres saints et l’antiquité grecque et latine ; nos admirables comiques, qui s’abandonnent sans scrupule à la veine populaire et gauloise ; les écrivains burlesques, dépourvus de toute valeur littéraire, mais qui ont un mérite, le seul, celui de nous conserver une portion du vocabulaire que tous les autres dédaignent ; les Jansénistes, qui inventent une terminologie mystique, pour subtiliser sur le libre arbitre et sur la grâce ; les protestants, qui conservent le plus fidèlement qu’ils peuvent, par esprit de secte, le style du

  1. Œuvres de Rabelais, publiées par Ch. Marty-Laveaux. Paris, Lemerre, tome I, page 241.