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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

transcrivaient du latin, sont demeurés fort longtemps en dehors de la langue et que plusieurs d’entre eux ne sont entrés dans nos dictionnaires qu’à la fin du xviiie siècle[1].

Du reste, bien que les érudits du xive siècle méritent d’être étudiés de très près par qui veut bien connaître l’origine de la plupart des mots à forme savante, il faut rechercher les premières traces de ces expressions à une date beaucoup plus reculée : elles apparaissent déjà, en petit nombre il est vrai, dans la traduction des Quatre Livres des Rois, et même dans la Cantilène de sainte Eulalie, c’est-à-dire à l’origine de la langue.

Toutefois, malgré l’ancienneté des premiers termes transcrits du latin, les deux courants de langage, qui résultent de la formation populaire et de la formation savante, sont restés distincts à certains égards, comme les eaux de deux rivières qui se réunissent sans se confondre.

Le peuple continue, même de nos jours, à n’employer que les mots qu’il a faits ; à peine comprend-il les autres, et jamais il ne s’en sert. Les beautés les plus délicates de nos grands écrivains demeurent par là lettres closes pour la majeure partie de la population, qui ne saurait saisir les raffinements et les allusions savantes d’une langue un peu artificielle.

On commence à entrevoir ces faits ; mais, en général, on n’en aperçoit point la cause première, ou du moins, l’on ne s’en préoccupe pas. Bien au contraire, nos divers gouvernements, si opposés pourtant dans leurs principes et dans leurs doctrines, poussés par je ne sais quel besoin de mystérieux prestige, semblent s’entendre de la façon la plus singulière pour parler à tous, précisément dans les circonstances décisives et solennelles, un

  1. Je l’ai prouvé par quelques exemples dans un compte rendu que j’ai fait de l’ouvrage de M. Menier. (Bibliothèque de l’École des Chartes, 19e année, p. 97.)