Page:Marty-Laveaux - Études de langue française, 1901.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

l’a fait rimer avec bec[1], ce qui prouve que dans son temps on commençait à dire respec ; aujourd’hui il ne manque pas de beaux parleurs pour prononcer respect comme l’impératif de respecter : respecte.

Jusqu’à ces derniers temps on ne faisait sonner la lettre n qu’à la fin des adjectifs immédiatement suivis d’un nom commençant par une voyelle ou par un h non aspiré : ancien ami, vilain homme ; aujourd’hui l’on prononce de même les finales des substantifs, au risque de tomber dans l’obscurité : on dit la nation narmée, la population nest grande ; et, dans ce dernier cas, il faut que la fin de la phrase vienne rectifier le sens auquel notre oreille nous avait d’abord préparés, car en entendant la nation n’est, nous pensions tout naturellement que la phrase était négative. Il serait grand temps de s’arrêter sur cette pente, et même de rebrousser quelque peu chemin, s’il était possible.

Comme les habitudes dont il s’agit, bornées jusqu’à présent à une seule classe de personnes, n’ont point pénétré dans le peuple, et ne sont pas encore transformées en règles écrites, le mal n’est peut-être pas irréparable ; si par bonheur il en est ainsi, un coup d’œil historique sur les principes de notre prononciation, peut devenir le remède le plus sérieux et le plus efficace. M. Littré a indiqué dans la préface de son excellent Dictionnaire[2] le programme à suivre à cet égard ; sans songer à le remplir dans toute son étendue, nous chercherons du moins à éclaircir la prononciation de notre temps par celle des époques antérieures, et à en bien préciser le caractère et la véritable tradition.

  1. Ce peuple cependant, fort souvent en furie
    Pour la Dame étrangère ayant peu de respec,
    Luy donnoit fort souvent d’horribles coups de bec
    (La Perdrix et les Cocs. — Livre X, fable vii.)
  2. Page XII–XV.