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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

a donc esté long-temps, que l’on disoit l’hierre, pour la hierre, à cause que l’e et l’a de l’article masculin et du féminin se mangent, comme chacun sçait, deuant la voyelle du mot suiuant ; mais depuis on en a fait vn seul mot lierre ; et alors il a fallu luy donner vn nouvel article et dire le lierre.

« Ie sçay qu’il y en a d’autres exemples indubitables en nostre langue, qui ne se présentent pas à point nommé, quand on en a besoin, mais ie suis asseuré qu’il y en a. Et cela est si familier à la langue Espagnole, que ce n’est pas vne merueille si la nostre en fait autant, car en tous les mots que les Espagnols ont pris de l’Arabe, qui commencent par al, comme alcoua, alguazil, almohada, alcalde, alcayde, et une infinité d’autres, quoy que cet al, soit l’article Arabe, on n’a pas laissé d’y adjouster l’article Espagnol et de dire, el alcoua, el alguazil, el almohada, etc. »[1].

À cette liste de mots arabes introduits dans l’espagnol et dont quelques-uns sont entrés dans notre langue, on peut ajouter alcoran, dont on s’est avisé, seulement à partir du dix-huitième siècle, de supprimer l’article arabe pour en faire le Coran, ce qui faisait dire avec raison à Charles Nodier, fort opposé à toute innovation dans le langage : « Doit-on reléguer l’ancien nom de l’alcoran, au nombre des mots passés de mode ? oui, si l’on étend ce principe aux mots alambic, algèbre, almanach, et à leurs codérivés, autrement ce sera là une réforme inutile, comme toutes les réformes partielles[2]. »

Parfois d’ailleurs l’addition de al ajoute au mot primitif une nuance toute particulière : ainsi l’alchimie et la chimie sont deux sciences fort différentes.

Nous avons déjà vu que les pronoms français ont en réalité trois genres, comme en latin, et qu’ils conservent

  1. Édition de 1647, pages 517 et 518.
  2. Examen critique des dictionnaires de la langue françoise. — Paris, Delangle frères, 1829, in-8o, p. 29.