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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE
les commentateurs sont fort empêchés et les grammairiens très perplexes : ils font à ce sujet les plus singulières suppositions du monde ; et Charles Nodier lui-même, assez versé cependant pour l’époque où il écrivait, dans la connaissance de notre ancienne langue, ne sachant comment se tirer de cette difficulté, avance que lettres « est… masculin au pluriel dans ce solécisme de chancellerie : lettres royaux[1]. »

Les expressions grand messe, grand ville, grand place, grand mère, n’ont guère paru moins embarrassantes.

À bout de conjectures, les grammairiens se sont imaginé qu’il y avait dans ces adjectifs un e élidé qu’ils ont remplacé par une apostrophe, dont toutefois ils n’ont osé affubler la mère grand du Petit-Chaperon rouge.

L’explication de ces prétendues bizarreries est des plus simples.

En latin les adjectifs de la première et de la seconde déclinaison ont une terminaison particulière pour le masculin et une autre pour le féminin : bonus, bona ; et ces deux terminaisons ont persisté en français : bon, bonne.

Généralement au contraire ceux de la troisième déclinaison n’ont qu’une seule terminaison pour le masculin et pour le féminin : regalis, regalis ; grandis, grandis.

L’ancien français, calqué sur le latin, n’avait aussi qu’une seule terminaison pour ces adjectifs : on disait le palais royal, la maison royal ; le grand père, la grand mère, etc.

Lorsque par analogie, on a ajouté dans ces adjectifs, ainsi que dans tous les autres, un e muet au féminin, les locutions populaires et celles qui, comme lettres royaux, appartenaient à une langue technique, ne furent point modifiées et conservèrent la trace de l’ancien usage.

  1. Examen critique des Dictionnaires de la langue françoise. — Paris, Delangle frères, 1829, in-8o, p. 248.