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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

leur sens propre et particulier, qui consiste pour avoir à exprimer la possession « j’ai une terre », pour être, à exprimer l’existence » je pense, donc je suis », prennent souvent une signification beaucoup plus générale et affaiblie, et qu’employés alors dans les temps composés des autres verbes à titre de simples auxiliaires, ils servent l’un, avoir, à compléter l’actif : j’ai aimé, j’aurai aimé, l’autre, être, à composer le passif tout entier : je suis aimé, etc.

Si l’on veut ensuite être un peu plus complet et plus exact dans l’examen des temps composés de la langue française, il faut remarquer qu’avoir et être ne sont pas les seuls auxiliaires qu’elle emploie.

Aller, suivi de l’infinitif, sert d’auxiliaire pour former le futur : je vais partir. Il est évident que dans cette phrase aller n’a pas plus sa signification ordinaire qu’avoir et être dans j’ai aimé ou je suis aimé. Enfin, venir de, suivi d’un autre verbe, sert à indiquer un temps passé qui ne s’est écoulé que depuis peu. Ce sont là des locutions verbales, indispensables à signaler et dont l’explication, donnée dans la Grammaire de Condillac[1], n’a point passé dans celles qui lui ont succédé.

Un seul motif a fait négliger ces tournures si dignes d’attention ; elles ne se trouvent point dans le latin classique, elles ne figurent pas dans sa grammaire.

Il faut employer avec circonspection les expressions si souvent répétées dans nos grammaires, de temps primitifs, temps dérivés, formation des temps, qui donnent aux enfants des idées fausses.

Un temps n’est pas plus ancien qu’un autre et ne saurait en être ni le patron ni le modèle : ils ont tous été créés à la fois et parallèlement. Les meilleurs et les plus instruits des grammairiens modernes le savent et même le disent ; mais ils n’en continuent pas moins à

  1. Œuvres de Condillac. Paris, Houel, 1798 t. IV, p. 211.