Page:Marty-Laveaux - Études de langue française, 1901.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

et il avait, par cela même établi fort à propos l’examen des faits comme le point de départ de toute étude grammaticale sérieuse ; mais, n’étudiant que l’usage du moment et presque exclusivement celui de la Cour, il négligeait fort la Ville et ne s’occupait à aucun degré des provinces.

Lorsque La Mothe le Vayer disait que « le peuple fait valoir les dictions nouvelles, et decredite celles que bon lui semble[1], » il était très vivement critiqué, et Bouhours n’avait pas assez de railleries contre Ménage quand celui-ci, jetant un coup d’œil en arrière afin de mieux déterminer une règle grammaticale, osait parfois s’oublier jusqu’à citer Coquillart.

Bien éloignés de ces étranges dédains, les érudits de nos jours ont étendu la constatation de l’usage à tous les temps, à tous les points du territoire, enfin à tous les langages spéciaux et techniques, tels que la fauconnerie, la vénerie, la marine, l’art militaire, qui, indépendamment de leur emploi particulier, en ont un autre plus général, par les expressions qu’ils fournissent à la langue commune. Tous les genres de documents ont été mis à profit : poèmes, chroniques, traités spéciaux, chartes, patois divers transmis jusqu’à nous par la seule tradition orale ; et, grâce à tant d’efforts convergeant tous vers un même but, on commence à voir l’histoire de notre langue se dessiner dans son ensemble.

Comme l’histoire des institutions, comme l’histoire littéraire et l’archéologie, cette science nouvelle a son existence propre et concourt à l’ensemble de notre histoire nationale restreinte naguère à la partie militaire et politique ; en outre, ce qui est encore plus important, elle doit fournir, pour l’enseignement de notre langue à tous ses degrés, la méthode infaillible qui, substituant

  1. Considérations sur l’Éloquence françoise de ce temps. — Paris, S. Cramoisy, M.DC.XXXVIII, in-8o, p. 43.