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LETTRE À M. MICHEL BRÉAL

Dans le Coche et la Mouche, La Fontaine parle des gens qui font les nécessaires, c’est-à-dire qui agissent comme s’ils se croyaient indispensables ; dans l’Impromptu de Versailles, le mot devient un vrai substantif. On lit dans la liste des personnages : 1er nécessaire, 2e nécessaire. Ces nécessaires ne sont pas, comme on pourrait le croire, des personnages chargés d’une fonction particulière ; mais des courtisans qui font les importants, et, de leur propre mouvement, viennent, au nom du Roi, réclamer le commencement de la pièce (la dernière scène de la comédie le prouve). Certaines personnes, et particulièrement les Précieuses, dont le procédé le plus ordinaire de langage était d’employer les adjectifs substantivement, disaient un nécessaire pour un domestique, comme on devait plus tard dire, dans le même sens, par un euphémisme démocratique : un officieux. Mais comme, si à certains égards un domestique semblait un homme nécessaire, l’emploi d’un très grand nombre de valets peu occupés pouvait aussi les faire considérer parfois comme inutiles, ce mot inutiles signifiait aussi valet dans le langage des Précieuses.

C’est ainsi que Somaize explique cette phrase : « Inutile, ôtez le superflu de cet ardent », par : laquais, mouchez la chandelle.

Ainsi, dans ce langage, nécessaire et inutile arrivent à signifier la même chose.

Une acception accidentelle d’un mot devient quelquefois si dominante que les autres sont comme effacées de la langue. Si l’on entrait un de ces soirs au café des Variétés et qu’on y lût ce vers de Corneille, d’ailleurs assez peu cornélien :

« Une heure de remise en eût fait mon épouse, »
à des spectateurs venant de voir le fiacre 147, ils comprendraient à coup sûr quelque sottise, mais comme la Clymène de la Critique de l’École des Femmes, ce