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LETTRE À M. MICHEL BRÉAL

Comme la tendance de notre langue est de restreindre de plus en plus, dans l’intérêt de la précision, chaque mot à un sens principal et souvent unique, ce sens d’amorce a disparu et est devenu inintelligible pour le public aussitôt que fusil s’est dit de l’arme entière.

En vertu du même principe, les extensions de sens des termes déjà anciens ont beaucoup moins bien réussi que la création de termes complètement nouveaux.

Je trouve plus loin :

Les cieux fermez aux cris de sa douleur
Changeans de teint, de grâce et de couleur
Par sympathie en deuindrent malades.

Muret explique ainsi le sens de fermez, dans ces vers détestables : « Arrestez, mot italien. » Cette acception n’avait rien que de naturel ; mais pour nous fermé voulait dire clos et ne pouvait plus signifier autre chose.

Quelquefois, cependant, un sens se substitue à un autre avec une singulière hardiesse, mais c’est alors par l’effet d’une sorte de création spontanée, par un procédé qui n’a rien d’artificiel ni de littéraire. Voici, à ce sujet, l’exemple assez curieux que me fournit la seconde autorité que je vous ai annoncée, Pierre Loti :

« Ces cinq hommes étaient vêtus pareillement… sur la tête, l’espèce de casque en toile goudronnée qu’on appelle Suroit (du nom de ce vent de Sud-Ouest qui, dans notre hémisphère, amène les pluies. »)

Dans cet ordre d’idées, les passages d’un sens à un autre sont tellement faciles et tellement singuliers que le même mot damas peut signifier tour à tour un cimeterre, une étoffe ou une prune, suivant la phrase dans laquelle il entre, sans que personne soit jamais embarrassé pour lui attribuer son véritable sens.

Si, laissant là mes lectures actuelles, j’interroge mes souvenirs, je trouve que l’adjectif nécessaire a eu, au xviie siècle, diverses acceptions curieuses.