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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

Ils assignèrent à chaque mot un rôle unique, s’appliquèrent à priver peu à peu de ses libertés, de ses antiques franchises, la belle langue si indépendante du xviie siècle, et l’assujettirent enfin jusqu’à l’asservissement.

Ils rencontrèrent dans le cours de ce singulier travail un obstacle qui eût été de nature à décourager des gens moins persuadés de l’infaillibilité de leurs jugements.

Ils avaient bien pu réglementer à leur façon notre idiome, mais non supprimer sa littérature ; et, à chaque ligne de nos chefs-d’œuvre, ils trouvaient quelque infraction à leurs décisions arbitraires.

Nul moyen cependant de proscrire d’un seul coup tous nos classiques. Il était même indispensable de puiser parfois dans leurs œuvres des autorités et des exemples, et de montrer pour quelques-uns d’entre eux un respect qui permît d’attaquer au besoin tous les autres.

Ceux de nos grands écrivains dont le génie est le plus profondément français furent écartés les premiers.

Corneille était archaïque, Molière trivial, La Fontaine incorrect ; on avouait que Bossuet avait de l’élévation et de la noblesse, mais son style était rempli de hardiesses oratoires qui ne pouvaient servir de modèles.

Tout bien examiné, on n’admit guère que deux autorités : Racine dans ses dernières pièces, et Fénelon dans Télémaque.

Prendre pour types de notre langue des œuvres dont le sujet est héroïque et qui sont en grande partie imitées des écrivains de l’antiquité, était un premier moyen d’écarter une bonne partie des expressions proverbiales, des tours populaires et des gallicismes ; mais que de hardiesses de construction et de libertés grammaticales venaient encore choquer les implacables législateurs de notre langue !…

Cela ne les arrêta pas. Ils donnèrent comme des exemples tout ce qui était conforme à leurs règles, et comme des licences permises seulement aux grands